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Entretien avec une puissance médiatique individuelle

samedi 7 juin 2014 à 13:58

Reflets a été invité à deux journées de rencontre des « médias libres ». Comme nous sommes polis, nous y sommes allés. Le plus intéressant de ces 48h se trouvait être (d’après nous) un trublion, ni journaliste ni militant de quoi que ce soit, et qui à chaque fois qu’il prenait la parole, disait des choses très curieuses et souvent pertinentes. Par un hasard de circonstances, le trublion résidait dans le même hébergement que nous. C’est donc au petit déjeuner que nous l’avons interviewé. Mais attention, tout ça est très sérieux, et même s’il est parfois un peu difficile à suivre, Bourino réfléchit avec un recul étonnant sur la société de l’information dans laquelle nous vivons, et bien entendu au moment politique dans lequel nous sommes plongés. Entretien.

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Bourino, on se demandait si tu étais un philosophe ?

Bourino : J’ai du mal avec les classifications, mais c’est sûr : j’adore les mots. Je trouve que clarifier le sens des mots est extrêmement conséquent. J’ai d’ailleurs autant envie de parler de poésie que de philosophie. Les deux sont très puissants pour ce qui est mon terrain d’intérêt, mon souci : celui de la canalisation des énergies. C’est-à-dire, comment se fabriquent les comportements, le vivre ensemble. Les mots, pour ça, sont des clés énormes.

Donc, tu te promènes et tu titilles les gens sur le sens des mots ?

B : Ce qui me gène, c’est la réduction d’ » être  » avec  » faire ». C’est une chose parmi d’autres, mais j’en fais dix mille autres dans dix mille autres champs. Je fais, autant que je décortique des mécaniques de systèmes, des entrées-sorties de traitement…

Là, on est dans l’informatique…

B : Absolument. A 100%. Je peux te donner un exemple informatique typique. Là, on parle d’information, à cause de la réunion des médias libres. Typiquement, le mot information, pour le détailler, je prends le mot sens. J’adore ce mot « sens », parce qu’il a trois sens (la direction, la sémantique, et les 5 sens, ndlr). Et ça illustre bien la puissance d’illustration autour d’un mot, et du coup l’aspect dangereux de réduire un mot à un seul de ces sens. De faire des amalgames, et donc d’orienter  les contenus des cerveaux. Sur l’information et sur l’informatique, le rapport c’est la cybernétique. Le modèle de la cybernétique c’est entrée, traitement dans la boite noire, sortie et boucle de régulation ou pas. Dans les trois cas tu as un seul mot : sens, sens et sens. Nos cinq sens pour recevoir l’info, la signification dans le traitement de l’info, et dans quel sens on va pour la sortie de la décision. Ces trois mots, plus la boucle de régulation sont toujours de l’information, et je trouve ça intéressant parce que du coup, dans le territoire de l’information, ce sont des territoires que l’on peut tout à fait identifier.

Observer c’est une chose, modéliser c’est autre chose, exiger c’est encore autre chose, et évidemment contrôler c’est la dernière chose. Ces quatre mots sont une boucle de régulation des mécaniques et des systèmes de nos fonctionnements de collectivités.

Tu as défini les gens, dans une discussion, comme des puissances médiatiques individuelles. Qu’est-ce que tu mets là dedans ?

Ce n’est pas une seule définition pour moi-même, mais j’explicite, avec ce concept, un de mes territoires d’intérêt. Je définis chacun comme étant détenteur de sa propre puissance médiatique individuelle. C’est une puissance qui est accessible à tout un chacun, et elle est pratiquée. Le contenu que j’y vois, c’est que chacun fait ses choix médiatiques, et c’est  un choix beaucoup plus conséquent que ses choix électoraux. Dans les choix électoraux on a juste à choisir entre idiot ou idiot, alors que dans les choix médiatiques on a à choisir entre des informations différentes qui mènent à des conséquences. C’est hyper puissant pour canaliser nos comportements collectifs.

Là, tu parles des informations que tu reçois…

B : Des deux : que je reçois, que je traite et que j’émets. Et quand j’émets, j’émets deux types d’information, parce que c’est pourtant bien de l’émission dans les deux cas. Par exemple, ce que je relaye d’informations que j’ai reçues. Traduction : je regarde TF1, ou n’importe quel média dominant et je choisis d’en parler avec des potes. Je choisis d’être à l’intérieur d’un système, de cultiver mon cerveau dans des lunettes complètement verrouillées, sur ce que moi j’appelle « la machine à tout casser pour la croissance de l’argent ».

Typiquement ça a des conséquences sur l’information d’exigence. Aujourd’hui les gens exigent des emplois. Je trouve ça d’une aberration totale, d’une débilité totale. Si les gens acceptaient d’exiger des ressources, c’est à dire de voir que dans le même mot c’est un autre contenu qu’ils visent, ils en seraient dix fois mieux lotis. Exiger des ressources ça permet enfin de travailler, c’est-à-dire enfin de travailler pour que les ressources souhaitées soient plus faciles d’accès.

Des changements pourraient survenir si les gens changeaient leurs choix médiatiques, c’est ce que tu veux dire ?

B : Mais tout à fait : chacun fait des choix politiques majeurs dans son choix médiatique ! Ce choix médiatique, c’est son premier choix conséquent pour sa production de richesses pour sa collectivité. Le travail ne produit pas de richesses pour une collectivité aujourd’hui : toutes nos exigences c’est de dire à des patrons pyromanes « faites des incendies, j’aurai mon travail de pompier ». Ce n’est pas ça qui produit de la richesse !

Et Internet dans tout ça ?

B : Déjà, Internet c’est un média. Dans le concept de média actif, de puissance médiatique individuelle, Internet, j’adore. Parce que ça élargit les sources d’informations. C’est une source d’info géniale.

Justement, en lien avec Internet, qu’est-ce tu penses des lolcats ?

B : Je suis trop nul pour savoir de quoi tu parles : c’est quoi un lolcat ?

Ben, t’iras voir sur Internet…

(Rires)

On peut vivre sans lolcats ?

(Rires)

Les hackers et l’info, tu en penses quoi. Tu es un peu un hacker socio-politique, toi, non ?

B : Je n’ai jamais imaginé ce mot attribué à moi, mais j’ai entendu la définition de Benjamin Bayart hier soir, et j’ai bien aimé : prendre ce qu’on a sous la main pour en faire ce qu’on a besoin de faire. J’ai tendance à faire ça un peu tout le temps. Si je dois faire un cours sur le développement durable, parce que c’est la mode, je vais faire un cours d’économie sur le développement durable et commencer par expliquer que c’est zéro sur les marchés, je vais par contre expliquer comment tuer les marchés pour être plus riche.

Mais qu’est-ce qui te motive ? C’est quoi ton plan ?

B : J’ai toujours eu le même fil conducteur. J’aime être joyeux. Et puis c’est tout. Là où je sens que ça me parle bien, que ça me plaît, et bien j’y vais. J’ai fait polytechnique, travaillé pour une multinationale, par obligation familiale. Ça ne me convenait pas. Alors j’ai cherché un travail à deux jours par semaine et passé six ans avec cinq journées de week-end. Là j’ai pu suivre ce que j’avais besoin de sentir, ce qui me parlait bien. Donc, j’ai fait une psychanalyse, de la poésie, de la peinture, du théâtre, de la danse, et beaucoup de vie sexuelle. Des tentatives de fonctionner mieux.

Mais tu as dit avoir un programme politique…

B : Pour moi, le mot politique il faut le clarifier. La politique c’est l’ensemble des systèmes que se donne une collectivité pour réguler son fonctionnement commun et collectif. On médiatise aujourd’hui le fait qu’il y a trois grandes puissances politiques : législatif, exécutif, judiciaire. J’ai toujours entendu ça. Je rajouterais le pouvoir financier et le pouvoir médiatique.

Ce que j’appelle programme politique se joue dans deux dimensions. Il y a le programme électoral, qui est quelque part un peu secondaire, et il y a le programme équipements et systèmes, qui est le programme principal. Alors évidemment dans le système actuel, la transformation des systèmes peut passer par le programme électoral, mais il ne faut pas mélanger les choses. Je suis investi en politique, mais je crois que je détesterais être élu. Même si un jour je me suis mis candidat député. Mais c’était très bien, parce que j’ai découvert que j’avais le droit de poser mes affiches. Même si ça n’a servi à rien du tout, parce que les affiches sont localisées dans des endroits où personne ne va où personne ne les voit. J’ai découvert plein de choses.

Il y a souvent un mélange entre partisans et politiques. Les gens, aujourd’hui, ont amalgamé le mot politique des équipes partisanes, des partis qui veulent un pouvoir exécutif et qui veulent brasser des sous. Alors, si je me lance dans les exigences, je rappelle que pour comprendre les exigences il y a du travail en amont pour voir autrement le monde, transformer les lunettes culturelles, brasser de l’information avec d’autres puissances que les puissances d’argent…

Alors, ce programme ?

B : Oui. Exemple tout bête : la diminution démographique. Je sais que c’est le pire des mauvais scoops, parce que ça va faire fuir 90% des gens, mais pourquoi j’en parle ? Parce que j’aime bien que les gens soient libres. Moins j’ai de soucis d’argent, plus je fais des choses intéressantes, donc ça n’a rien à voir avec ne pas travailler, ou ne pas être actif, ne pas être relié socialement. Pour moi l’économie c’est la facilité d’accès aux ressources.

Dans la facilité d’accès aux ressources, personnellement, je trouve intéressant qu’au même moment où il y a une maîtrise d’énormément de choses, et à très grande échelle, on ait autant multiplié le nombre d’hommes. Donc on a fait une tension sur les ressources. Moins les ressources sont faciles d’accès, plus il faut travailler pour en avoir, plus il y a des esclaves et plus les dominants augmentent leur puissance d’argent. Je pense que cette question démographique est des plus conséquentes et des plus mal traitée. Les aides à la surnatalité des populations les plus en difficulté sont un exemple. Je préfère mille fois donner de l’argent à tout le monde et pénaliser ceux qui veulent faire plus de gosses : s’ils veulent plus de gosses qu’ils se le payent eux-mêmes.

Un autre exemple typique : reprendre la propriété publique de la création monétaire. On a monté une très belle machine à sous : on paye des impôts pour les financiers. C’est-à-dire que l’Etat est devenu le percepteur d’impôts des financiers. Ça s’appelle joliment « intérêts de la dette ». Il faudrait que le banquier emprunte à l’Etat et que les intérêts de la dette soient ceux des banquiers pour l’Etat ! Mon autre axe c’est la séparation de la finance et des médias. Un principe qui devrait être inscrit dans la constitution. Exactement comme on a fait la séparation de l’église et de l’Etat. A l’époque c’était incompréhensible. L’idée c’est de dire que c’est l’égalité médiatique qui est centrale, pas celle des voix électorales.

L’alternative du gratuit : Blog de Bourino

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Não vai ter Copa !

vendredi 6 juin 2014 à 02:31

estadiopolicia-ninja« La Coupe n’aura pas lieu ! »

C’est le slogan phare des manifestations qui perturbent les préparatifs de la coupe du monde de foot qui se déroule au Brésil à partir de jeudi prochain. Depuis quelques jours, c’est même une ambiance de grève générale qui s’est répandu dans le pays — ici à Porto Alegre, là à Sao Paulo, où mercredi 20.000 personnes ont marché vers le stade de l’Itaquerão, 7 jours avant le match d’ouverture (image ci-dessous).

Qui sont donc ces irresponsables gauchistes qui vont gâcher la fête, au pays des magiciens du futebol ? J’ai cru lire récemment à quel point les Brésiliens ne sont pas si obsédés par cet événement.

(crédit photo: Midia Ninja - midianinja.tumblr.com)

(crédit photo: Midia Ninja – midianinja.tumblr.com)

En gros, plus d’une personne sur deux — 61%, énorme quand même au Brésil — se déclare « contre la Copa », et regrette finalement que le pays dépense des milliards pour les beaux yeux de la très mafieuse FIFA sans améliorer la vie des plus démunis.

L’ancien footeux français Michel Platini, qui rêve un jour de piquer son siège au parrain de la FIFA Sepp Blatter — pour qui cela ne va pas fort du tout, depuis l’affaire de la corruption du Qatar — n’a pas mangé ses mots le 24 avril, lorsqu’il a réclamé de la part des Brésiliens d’attendre un peu… « avant de faire des éclats un peu sociaux » (sic). Bon, ok, il est pas très finot le Platoche, mais impossible de conclure pour autant que cette petite phrase n’a pas été calculée. Pour être patron du foot mondial, il faut afficher une certaine dose d’arrogance et de paternalisme néocolonial.

C’est exactement la prière que tous les dirigeants brésiliens font tous les soirs avant de cauchemarder: pitié, arrêtez les manifs et les grèves pendant le Mundial!

En compilant les données et les documents disponibles, la manière dont les autorités répriment les manifestations et la révolte sociale qui ébranlent aujourd’hui les principales métropoles, est réellement flippant. Certes, cette révolte couve depuis longtemps au Brésil, et elle s’est calmée depuis 2002 et l’arrivée au pouvoir du président Lula, du Parti « travailliste » (PT) — mais elle rejaillit à la faveur de cet événement. Cette coupe de la FIFA est l’opération la plus médiatisée au monde, pourquoi des millions de sans droits ne s’en serviraient pas pour mieux faire connaitre leur cause?

La vérité, c’est que depuis que le Brésil sait qu’il va organiser, coup sur coup, la Coupe du monde et les JO (en 2016), les vieux réflexes de la terrorisation sociale ont repris le dessus — ironie de l’histoire, 2014 marque le 50ème anniversaire du coup d’état du maréchal Branco (31 mars 1964), qui allait enfermer le Brésil dans une dictature de fer pendant 22 ans.

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Les premiers mouvements anti-Coupe ont débuté réellement en juin 2013, lorsque le Brésil organisait déjà une sorte de répétition générale (la Coupe des confédérations). A l’origine, une réelle exaspération sociale, dont l’étincelle fut l’augmentation du prix des transports publics, d’abord à Porto Alegre en mars, puis à Rio et ailleurs dans la foulée. Le coût mensuel des transports en ville peut représenter jusqu’à 20% du salaire minimum. Ce qui donnera le mouvement social le plus important depuis 1992.

Lors de chaque rassemblement, les flics se lâchent et font des dizaines de blessés. Pour en connaitre l’ampleur réelle, il faut souligner l’existence d’un réseau de presse indépendant, les « Midia Ninja », qui font un travail énorme pour contrer la presse complice et relater les révoltes de l’intérieur.

A cette révolte sociale se rajoute la misère humaine des opérations de gentrification, qui vise à expulser les populations les plus précaires de leurs bidonville (pour faire plus joli on dit « favela ») pour convertir des zones urbaines à la grande machine à cash de la FIFA. Une coalition d’opposants de tout le pays, l’ANCOP, estime à 250.000 les personnes déplacées de force par l’urbanisation liée — ou prétendue telle — à la Coupe et aux JO.

militarypolicia-niinjaLe nettoyage des favelas va donc de pair avec la répression des manifestations anti-coupe. A Rio, depuis 2008, les flics anti-émeute ont pris le joli nom d’UPP, les « Unités de police pacificatrices ».  Le mot est bien choisi, il provient des stratégies contre-insurrectionnelles de l’armée française, testées en Indochine et en Algérie et exportées avec succès auprès des juntes sud-américaines, formées et soutenues par les USA dans les années 60 et 70. Les UPP, en prétextant de devoir lutter contre les mafias et les trafics de drogue, ont multiplié les bavures et les exactions. Dans les autres métropoles, c’est une sainte alliance police/armée qui fait la loi: la police militaire (PM) et la Garde civile métropolitaine (GCM).

Les manifs sont donc plutôt sanglantes… Dixit un papier publié sur le site Affaires stratégiques :

Mais que les touristes et la FIFA dorment tranquilles. Le gouvernement de Dilma Roussef et ses ministres sont en train de mettre en place un programme anti-manifestation capable de faire rougir Vladimir Poutine. Les policiers seront autorisés, comme s’ils en avaient besoin, à agir avec violence face à la violence. Le Parti des Travailleurs qui, pendant des années, a été à l’avant-garde de la grande majorité des manifestations et a élu une présidente victime de la torture, essaye, aujourd’hui, de concilier préservation de l’ordre et répression des manifestants. Les forces armées, dont personne au Brésil n’ignore la tradition de torture et de répression, seront sur appel durant toute la durée de la Coupe du Monde, si jamais la société en a besoin, si jamais la violence des polices militaires n’est pas assez pour contenir les manifestants.

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Il faut dire que les statistiques des violences policières au Brésil sont déjà assez flippantes. En 2012, près de 1900 personnes ont trouvé la mort suite à une « action policière ». Soit à peu près 5 par jour (source officielle, nov. 2013 — confirmant une estimation d’Amnesty International trois mois plus tôt). Une autre stat trouvée ici estime que la police de Rio est championne du monde… du meurtre de suspects: une personne arrêtée sur 229 fini à la morgue; aux USA, ce taux morbide est de 1 pour 31.575…

La question des « personnes disparues » est des plus préoccupantes. Des statistiques officielles, que le réseau Ninja a mis en avant fin avril, le sont d’autant plus qu’elles ne concernent que l’État de Rio de Janeiro (sur 27 régions au total dans le pays). Selon cette enquête parue en février, qui se base sur les chiffres de l’Institut de sécurité publique (ISP) de la région, 6.034 disparitions ont été signalées sur une période de seulement 12 mois (nov 2012 – oct 2013) — soir 16 cas par jour. Sur une plus longue période, 6 ans (2007-2013), l’ISP estime qu’il y a eu au moins 40.000 disparitions. Le cas d’Amarildo de Souza, un maçon de 33 ans « disparu » en juillet 2013 après son arrestation, est devenu un cas emblématique, car trois mois plus tard on apprenait qu’il était mort après avoir été torturé par les robocops de la sécurité brésilienne. Ce qui vaut — fait plutôt rare — à une douzaine de policiers d’attendre à l’ombre leur (éventuel) procès.

La comparaison qui suit devrait réveiller de vieux démons: pendant la dictature, le nombre de « disparus » est toujours estimé à environ 10.000. « A peine », oserait-on dire. En 22 ans de régime militaire.

Les injustices provoquées par la répression policière peuvent déclencher d’autres émeutes, qui seront à leur tour écrasées dans le sang et les larmes. Dernier exemple en date, la mort, le 25 avril de Douglas Rafael da Silva Pereira, un danseur de 25 ans, connu sous le surnom de DG, originaire de la favela Pavao-Pavaozinho qui surplombe Copacabana. La version officielle indique qu’il a été tué par les forces de l’ordre après avoir été « confondu avec un trafiquant de drogue »…

Le jeune homme, qui bénéficiait d’une grande popularité dans son quartier, avait tourné un court-métrage l’an dernier dont la trame retentit comme un terrible tir de sommation. Il y jouait le rôle d’un gamin des favelas qui adore le foot et qui cherchait à percer à l’occasion de la Copa. Et à la fin du film, son personnage  meurt, assassiné par la police des favelas — la même qui lui enlèvera la vie — la vraie —, quelques temps plus tard. Le film s’appelle Made in Brazil.

NB. — Les images magnifiques publiées sur ce blog proviennent du blog photos du réseau Midia Ninja; se reporter aussi à sa page facebook, et à son fil d’infos en continu.

Un papier plus fouillé paraîtra dans le n°16 de ZELIUM, sortie prévue à la mi-juin (pour le choper rendez-vous ici).

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Lettre aux barbus

jeudi 5 juin 2014 à 10:39

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Un an. Voilà un an que E. Snowden a rendues publiques les interceptions de masse réalisées par la NSA.

Et que s’est-il passé en un an ? Faisons le bilan.

Paroles, paroles…

D’abord il y a eu beaucoup de paroles. On ne compte plus les articles, émissions, débats, conférences sur les problématiques de la vie privée et de l’espionnage de masse. L’espionnage de masse n’est pas nouveau, ce qui est nouveau, c’est qu’on en parle.

Les services secrets n’ont pas attendu PRISM et la NSA. Déjà, depuis la fin des années 80 avec Echelon (qui a fourni 25Mds de dollars de contrats pour les firmes américaines) et Frenchelon, nous savions que nous étions surveillés, écoutés à très grande échelle, et que tous nos échanges électroniques étaient potentiellement interceptés, au moins dans le cadre de l’espionnage industriel.

Mais surtout, surtout, avec la banalisation de toutes les formes de surveillance à la fin du siècle dernier. Écoutes et fadettes, videosurveillance, RFID, Pass Navigo et autres cartes de fidélité en magasin: il y a longtemps que nous avons abandonné toute notion de vie privée au profit des petites et des grandes entreprises et de l’espionnage industriel des états. Ça ne date pas du 11 septembre, ça ne date pas non plus d’Internet, et je suis assez vieux pour me souvenir du moment où la RATP a pu communiquer positivement sur la vidéosurveillance dans le métro, assez vieux aussi pour savoir que, quelques années plus tôt, la réaction du public aurait été très fortement négative.

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Petit à petit, le discours sécuritaire permanent nous a transformé en moutons, sous surveillance électronique permanente, et heureux de l’être. Nos ados d’aujourd’hui sont des Truman Burbank natifs bien avant d’être des natifs du numérique.

Ce qui est nouveau, donc, c’est que les révélations d’un énième programme ont, cette fois-ci, été relayées par les grands médias, qu’elles ont alerté la population, et que ça a été plus qu’un buzz de quelques jours. Cette démocratisation n’a rien changé aux comportements ni du public ni des espions, mais – pour une fois – on a vu une réaction généralisée face a la prise de conscience de la fin de la vie privée, au delà des activistes, des experts et des complotistes.

Un an plus tard, nous sommes un peu en stase: soit cette réprobation finira par avoir des effets (peut-être légaux, par des condamnations, peut-être politiques, par le vote du Parlement européen ou les suites de NetMundial, peut-être sociale, avec un rejet de la société de surveillance), soit le public finira par en prendre définitivement son parti.

C’est visiblement, encore aujourd’hui, le pari des espions. La NSA continue de nous espionner, et vous continuez d’utiliser votre pass Navigo.

Des paroles et peu d’actes

Bien sûr, au delà des paroles, il y a eu quelques actes.

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Mais, en pratique, pour le grand public au quotidien, rien n’a changé.

Alors est-ce que le pari des espions est en passe de réussir ?

 

Redéfinir le problème

En quoi la surveillance de masse est-elle un problème ? De nos jours, la jeune génération envoie des sextos, raconte sa vie intime sur les réseaux sociaux, elle est née « videoprotégée », babyphonée. Elle est tracée, traquée, partout, en permanence, soit par des commerçants avides de tout savoir d’elle pour mieux lui vendre leurs produits, soit par l’État au nom de sa protection. Et elle ne semble pas particulièrement rebutée par tout ça.

Et elle l’est d’autant moins que leurs modèles de réussite sociale sont d’autres jeunes, qui ont construit des empires commerciaux en échangeant la gratuité des services contre la vie privée.

Facebook vend les contenus produits par ses utilisateurs à des régies publicitaires sans rien verser aux producteurs. Il vend aussi à ces mêmes régies toutes les informations qu’il peut récupérer sur les producteurs et leurs visiteurs. Il vend encore, en bourse, ses actions dont la valeur ne dépend que du nombre d’esclaves volontaires qui travaillent pour lui. Et depuis peu il vend enfin à ces esclaves le droit d’être mieux exposés au plus grand nombre. Et on ne voit guère de monde s’inquiéter de ce que ce modèle économique aliène non seulement la propriété mais jusqu’à la personnalité de ceux qui utilisent le service « gratuit ».

D’autre part, ce modèle économique « gratuité contre données personnelles et publicité », très largement établi sur Internet, a conduit à une centralisation massive des services.

Parce qu’il est plus utile, pour une régie publicitaire, de traiter avec les plus gros diffuseurs au détriment des plus petits, le phénomène du « winner takes it all » est encore amplifié. Et du fait de cette centralisation à outrance, l’espionnage de masse devient si facile qu’il est difficile d’en vouloir aux services quand ils en profitent. Plutôt que de devoir placer leurs sondes DPI partout, il leur suffit d’avoir accès aux quelques points par lesquels nous passons tous, désormais.

Le coût de la surveillance est beaucoup trop bas.

Le coût économique, d’abord: quand une technique comme le DPI était inaccessible en 2001 (faute de capacité de calcul), la loi de Moore est ici notre ennemie, et elle est aujourd’hui à la portée de tous les opérateurs et de tous les états.

Le coût social ensuite: si les réactions à un scandale comme celui de PRISM sont d’une envergure encore jamais vue, elles sont loin d’être suffisantes pour faire reculer les états, comme on a pu le voir avec le vote de la LPM en France.

L’acceptation est partout, et la fausse logique du « si je n’ai rien à cacher je n’ai rien à craindre » est bien ancrée dans les esprits. En période de crise, comme nos sociétés occidentales le redécouvrent sans cesse, la sécurité est une valeur refuge pour la majorité de la population. Les populistes en profitent, et les surveillants en vivent. Pour la vaste majorité, la liberté est un luxe dont il sera bien temps de se préoccuper quand elle aura de quoi manger.

Or c’est bien là qu’est tout le problème: dans un état de droit, la liberté individuelle est en équilibre avec la sécurité publique. Quand cet équilibre est détruit, quand toute vie privée disparaît en échange d’une sécurité théorique, on ne vit plus dans un état de droit mais dans une société totalitaire.

On peut comprendre que la sécurité publique interdise qu’on puisse agir en tout anonymat (qui de toutes manières est sinon impossible sur Internet au moins très largement théorique et de toutes façons inaccessible à grande échelle) : l’appareil judiciaire doit pouvoir enquêter, rechercher, trouver et punir les criminels.

Mais quand tous les citoyens, quels qu’ils soient, sont en permanence sous surveillance électronique pour garantir la société et empêcher les délits, sans mandat d’un juge, en dehors de toute enquète légalement justifiée, quand toutes les données recueillies sont conservées ad vitam aeternam, il n’y a plus le moindre équilibre.

Et quand on aura de quoi manger, il sera beaucoup trop tard pour démanteler cet appareil sécuritaire.

Chercher des solutions

Alors, dans quels domaines peut-on agir ?

Un peu dans le champ politique, bien sûr. En faisant pression sur les élus, pour qu’ils encadrent mieux les écoutes (sans en étendre sans cesse le champ en échange d’un simple semblant de contrôle comme dans la LPM).

On pourrait, par exemple et sur le modèle (largement compromis) du Safe Harbor, imposer aux états de ne partager aucune donnée personnelle de leurs ressortissants avec les services d’un état étranger. Il n’est pas normal que la France s’interdise (en théorie) d’écouter sa propre population mais qu’elle échange le produit de ses propres écoutes (en majorité sur le continent africain) avec leur contrepartie américaine qui, elle, concerne bel et bien les citoyens français.

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On pourrait, ce ne serait pas du luxe, intégrer des représentants de la société civile – à égalité avec les élus – dans le CNCIS, pour rétablir un contrôle démocratique sur ce qui constitue et constituera toujours une atteinte aux droits fondamentaux, et qui doit être justifiée et proportionnelle.

On peut agir aussi dans notre vie de tous les jours.

On peut apprendre à mieux communiquer sur ces questions, à sortir du discours complotiste, à rester factuel pour éviter de passer pour une tribu de paranoiaques en crise.

On peut aider les lanceurs d’alerte en protégeant leur anonymat, en leur apprenant, à l’instar d’un Glenn Greenwald, à feuilletonner leurs révélations pour maintenir une pression constante sur les médias et les élus.

On peut demander à notre médecin, à nos amis journalistes, et à tout notre entourage comment ils protègent leurs données personnelles (et les notres par la même occasion). Et comme c’est probable, on peut ensuite leur apprendre à mieux se sécuriser, à prendre d’avantage en compte ces problématiques, à adopter des principes simples pour limiter les risques.

Et enfin, on peut essayer d’apporter des réponses techniques.

Reset the Net

Dans ce domaine, on l’a vu, la plupart des développements en cours sont encore trop orientés vers un public averti, qui est déjà de très loin celui qui sait le mieux se protéger. C’est une erreur.

Une des nombreuses raisons qui nous ont ammenés là où nous en sommes, c’est la croyance très largement partagée chez les informaticiens que – simplement parce qu’un outil libre existe et que sa documentation est en ligne – le grand public va petit à petit se l’approprier et s’en servir. C’est clairement faux. S’il ne fallait qu’un exemple: PGP existe depuis 23 ans et même parmi mes contacts les plus avertis, quasiment personne ne l’utilise au quotidien. C’est votre cas aussi.

On peut penser que les outils de sécurité sont trop compliqués à mettre en oeuvre (et c’est vrai, dans le cas de PGP même si Google nous promet un module intégré dans Chrome pour très bientôt), mais même pas: même après PRISM, un service comme Lavabit n’hébergeait que 400000 comptes email: une molécule d’eau dans l’océan de Gmail (un milliard de comptes mail). Et pourtant, Lavabit n’avait rien d’un outil cryptique en ligne de commande.

Quand ces 400000 utilisateurs sécurisés écrivent au reste du monde surveillé, tous leurs courriers sont publics, à 2500 contre 1.

Si nous voulons rendre Internet plus sûr, si nous voulons modifier, peu à peu, le comportement de tous (et pas seulement de quelques uns) pour retrouver un équilibre depuis longtemps perdu, alors ce n’est pas 400000 utilisateurs que nous devons convaincre. Ce n’est pas non plus quelques millions qui changeront la donne: à 100 millions d’utilisateurs hypothétiques du futur module PGP de Google, ce dernier aura encore 90% des échanges en clair. De quoi savoir tout ce qu’il y aura à savoir, sur chacun d’entre nous.

Nous devons viser le milliard, nous aussi.

Nous avons trop longtemps laissé le design et la communication aux GAFA. Or, si nous voulons donner envie au grand public d’utiliser nos solutions, c’est un passage obligé: nous devons, nous aussi (et ça me gonfle) apprendre à devenir des communicants. Nous devons, nous aussi, faire des trucs sexy, attirants, à la mode. C’est le seul moyen d’amener à la sécurité un nombre significatif d’utilisateurs, suffisamment grand pour que le renchérissement de l’espionnage de masse soit à un niveau suffisant pour en dégouter les états.

Nous devons, aussi, cesser de n’imaginer nos solutions que sous forme de services centralisés. Quelle que soit la sécurité d’un Lavabit, ou d’un équivalent localisé sur un territoire plus respectueux des droits des utlisateurs, le coût de recherche et d’exploitation d’une faille sur un service unique est beaucoup trop bas pour éviter qu’un service secret ou un autre ne le fasse.

Nous devons encore, évidemment, utiliser d’autres modèles économiques que la vente des données de nos utilisateurs à des centrales publicitaires: outre l’incompatibilité intrinsèque avec la protection de la vie privée, c’est – on l’a vu – la meilleure façon de pousser à la centralisation du net.

Et nous devons, enfin, ne plus jamais laisser la sécurité de côté quand nous créons de nouveaux outils, de nouveaux services ou de nouveaux protocoles. C’est le sens du RFC 7258, mais c’est aussi du bon sens: le design, la communication, la sécurité, les modèles économiques, tous ces gros mots sont chiants, je sais, mais ça fait désormais partie du boulot.

Règles de base

Ce ne sont pas les scandales à répétition qui pousseront plus qu’une portion négligeable des utilisateurs vers des outils sécurisés: nous devons imaginer de nouveaux usages, de nouveaux services, pour attirer les masses vers ce que nous leur proposerons.

D’abord parce qu’il est illusoire de croire que – parce que vous êtes une personne plus surveillée que la moyenne – les outils sécurisés vous protégeront. Les espions espionnent tout le monde, mais s’ils savent que vous êtes un objectif important ils ne se contenteront pas des moyens qu’ils utilisent pour surveiller tout le monde. S’ils vous veulent, ils vous auront.

Ensuite parce que ce n’est qu’en rendant suffisamment chère la surveillance de masse que nous pousseront les services secret (et les autres) à un équilibre plus respectueux de nos droits fondamentaux. Toute pression autre que financière n’aurait que des effets négligeables à court terme.

La sécurité globale n’est pas la somme des sécurités individuelles. Elle ne reviendra que du fait de rendre l’espionnage de masse si difficile que seul l’espionnage individuel redevienne rentable.

C’est une évidence, mais si on l’oublie, si on se focalise trop sur la facilité d’accès pour valoriser un produit, alors on contribuera encore et toujours à simplifier l’espionnage de masse. Nous devons nous rééduquer, et rééduquer nos utilisateurs, et s’il faut pour ça imaginer d’autres motivations que la simplicité pour attirer le grand public, eh bien ! Nous n’en manquons pas.

Chaque nouveau service web innovant qui rencontre le succès ouvre un boulevard à la surveillance généralisée. Parce qu’il attire le public en un seul lieu, il suffira d’une faille, d’une sonde, d’une personne pour que tout ce qui s’y échange soit intercepté. Même la NSA s’est fait trouer (so many thanks to you Edward Snowden).

Nous devons imaginer les services du futur sous une forme décentralisée autant qu’il est possible. Et s’il faut pour ça trouver des modèles économiques différents, faisons le.

Accessoirement, c’est sur ces bases que nous construisons Caliopen.

Tout est foutu

L’excellent texte « Everything is broken« , de Quinn Norton, dresse un tableau apocalyptique de l’informatique, mais il est juste.

Nous avons laissé faire. Trop longtemps. Nous avons négligé la sécurité, remis « ça » à plus tard, oublié de nous en occuper.

Nous ne sommes pas les seuls: chacun, à son niveau, partout dans nos sociétés, nous sommes responsables d’avoir laissé faire, d’avoir accepté la surveillance. Pour quelques euros de réduction mensuelle, pour une sécurité théorique, par paresse ou parce que « ça ne nous concerne pas », nous avons accepté les cartes de réduction nominatives, les moyens de paiement électroniques, les caméras et le reste.

Revenir à une société un peu moins folle ne se fera pas en un jour. Il y faudra du temps, de l’énergie, et de l’espoir. De la pédagogie, des scandales, et quelques autres héros de la trempe de Snowden. Ce sera long, difficile et c’est un combat presque perdu d’avance.

Mais il en vaut la peine.

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Electricité libre : la transition énergétique, c’est maintenant

mercredi 4 juin 2014 à 19:20

L’article sur la propagande pro-nucléaire de  l’EGE (Ecole de guerre économique),  soulève de nombreuses questions sur la problématique de la production électrique, et de l’énergie en général en France. Serions-nous condamnés à consommer de l’électricité produite par fission ou à termes par fusion nucléaire ? Quelle est la part de production/consommation électrique dans l’ensemble de la consommation d’énergie sur le territoire ? Qui consomme le plus ? Pourquoi ? Le problème ne viendrait-il pas de la passivité des citoyens, incapables de se libérer des structures d’Etat ou des entreprises pour leur consommation électrique personnelle ? L’électricité libre est-elle une utopie, ou bien est-ce l’avenir ?

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Le parallèle entre logiciel libre et production libre d’électricité n’est pas sans intérêt. Personne n’imaginait il y a 30 ans qu’un système d’exploitation d’ordinateur puisse être quelque chose de libre, gratuit, modifiable et évolutif sans qu’aucune entreprise d’informatique ne soit derrière. La production d’électricité libre est au même stade que celui du logiciel libre au milieu des années 80 : elle existe, elle est embryonnaire, mais elle est possible. Le problème majeur n’est ni technologique, ni réglementaire, mais capitalistique et privatif. Exactement comme les systèmes propriétaires et le logiciel libre.

Maintenir la dépendance

Produire de l’énergie électrique en toute indépendance et en totale autonomie dérange les puissances politiques et économiques. Non pas parce que cette option pourrait remodeler entièrement le paysage de production d’électricité en France, mais parce que cela démontre l’inverse de ce que ces décideurs martèlent depuis des années : la production électrique (et d’énergie en général) doit être centralisée, appartenir à l’Etat ou a à des entreprises triées sur le volet. Les citoyens doivent être dépendants de ces systèmes productifs. Au point de leur faire croire que produire de l’électricité est tellement compliqué, qu’il faut construire et maintenir des usines à fission nucléaire, capables de détruire la moitié de l’Europe si elles venaient à exploser. La dangerosité de l’énergie nucléaire n’est plus à démontrer, les accidents de Tchernobyl,  Fukushima sont bien réels. L’Allemagne l’a très bien compris, a éteint ses 8 réacteurs, et décidé de basculer dans la production électrique sans nucléaire. Sauf que le fond du problème ne se situe pas uniquement sur ce plan. Bien qu’un pays sans centrales nucléaires soit plus rassurant.

Qui consomme quoi ?

En France, les différentes politiques menées depuis des décennies ont mené à l’installation de chauffages électriques dans un nombre croissant de logements. Le discours dominant a été celui d’une indépendance énergétique très importante du pays grâce à une production électrique massive, peu chère, assurée par l’industrie nucléaire. Au point d’être le seul pays au monde à produire 75% de son électricité avec l’atome. Mais quelle est la part de la consommation électrique dans l’ensemble de la consommation d’énergies en France ? Le site d’EDF suivant l’indique de façon très précise :

conso-parts

L’électricité primaire correspond à 44% de la consommation totale de l’énergie en France. Elle comptabilise le nucléaire, l’hydraulique, l’éolien et le photovoltaïque. Comme la part des renouvelables est de 18,6 %,  le nucléaire a une part réelle de 36% dans l’énergie électrique primaire consommée. Et en réalité, encore un moins, puisqu’il faut retirer les 25% restants issus des centrales thermiques. Mais qui donc consomme cette électricité ?

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Il est intéressant de constater que les plus gros consommateurs sont les particuliers et le secteur tertiaire. Pas les industriels, ni les transports ou l’agriculture. Ces particuliers, en termes globaux, consomment 47% de l’énergie produite en France, selon EDF :

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Le chauffage électrique est l’un des facteurs aggravants de cette hyper-consommation, mais pas seulement puisque s’il reste très élevé, il est en baisse (page 12 de ce document de RTE FRance) depuis quelques années.

chauffage

Selon l’institut d’Etudes européen de la consommation électrique, entre 25 et 40% de la consommation des ménages pourraient être économisée. Les 36% (27% en réalité) de parts du nucléaire dans la production d’énergie pourraient donc être réduites à 20% voire…à 15%. Une autre étude démontre que 20% des Français consomment 51% de l’électricité consommée dans le secteur résidentiel en hiver.

Mais toutes ces études, statistiques, bien que démontrant la possibilité de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité, ne vont jamais dans un sens bien plus important et bien plus intéressant : celui de l’électricité libre.

Electricité libre : indépendance individuelle électrique de son domicile

La vocation de l’Etat en matière de production électrique est de conserver le contrôle, à tous les étages. Que ce soit avec l’atome ou les renouvelables. Les aides de l’Etat pour l’installation de systèmes de production électrique photovoltaïque individuels sont par exemple conditionnées à leur mise en place par un professionnel, et bien entendu de l’obligation de raccordement au réseau EDF. Si vous voulez consommer votre propre énergie, sans la revendre à EDF, ne pas être raccordé au réseau, vous pouvez le faire, mais l’Etat ne vous aidera pas. Toutefois, rien ne vous empêche de produire votre propre électricité, sans raccordement au réseau électrique : vous êtes simplement considéré par l’administration comme…n’ayant pas l’électricité. Dans le cas d’une habitation neuve, c’est la possibilité de faire soi-même l’électrification intérieure : aucun consuel (payant) ne passera pour vérifier la conformité des installations, vous n’êtes pas raccordé au réseau, vous n’existez pas pour EDF, et le consuel étant une entreprise qui se préoccupe de vous « protéger » en cas de problèmes électriques venant du réseau…EDF…il ne vous connaît pas.

L’intérêt de concevoir sa propre centrale électrique, à base de panneaux photovoltaïques, complétés par une éolienne pour les trois mois d’hiver peu ensoleillés dans la partie nord du pays, est très grand : le dimensionnement de l’installation correspond à vos besoins, puisque vous le déterminez vous-même. La consommation et les économies d’énergie deviennent naturelles, puisque si vous faites n’importe quoi en terme de consommation, vous risquez de vider vos batteries trop vite, et de les user prématurément. Vous ne devez rien à personne, votre énergie électrique est libre : exactement comme le logiciel du même nom. Vous pouvez modifier votre système, l’améliorer, l’étendre, le réduire : aucune limite, ni aucun contrôle ne s’exerce à votre égard. Et votre habitation, équipée d’appareils à basse consommation (frigidaire, lave-linge, ampoules led, ordinateurs, écran led), est alimentée en 220 V, toute l’année, 24/24, 7/7. Comme n’importe quelle habitation. Enfin presque, puisque dans les cas de coupure sur le réseau à cause des intempéries, vos voisins n’ont plus d’électricité, alors que vous, si.

Sortir de la passivité et ouvrir les yeux ?

Il est possible de se ré-emparer d’un nombre croissant de productions auparavant réservées à des secteurs industriels ou d’Etat. La production électrique en fait partie. Si la majorité de la population ne peut pas facilement produire son éléctricité librement et se chauffer au bois, tous ceux qui décident de construire une maison individuelle, ou en achètent une, le peuvent. C’est un choix. Mais il est profondément politique. Il démontre que les individus n’ont pas besoin d’être asservis à l’Etat ou des multinationales pour pouvoir s’éclairer et faire fonctionner les objets électriques de leur quotidien. Fabriquer de l’électricité libre n’a rien d’exceptionnel, ni de compliqué aujourd’hui, et les monstres de béton bourrés de matières radioactives censés nous assurer une électricité « fiable » et déclarée peu chère, seront à termes des antiquités ridicules. Les générations futures risquent de se poser des questions quand ils apprendront que pour fabriquer des bombes pouvant détruire la planète entière, la France avait choisi de faire tourner des turbines avec ces mêmes matières…pour produire de l’électricité. Ces matières radioactives qui tuent et rendent malades des milliers de Japonais depuis 3 ans, et contaminent les océans, l’air et les sols. En Allemagne, la clef de la transition énergétique passe par ce types de réflexions (source : http://www.sortirdunucleaire.org/Allemagne-la-transition-energetique-ca-marche ) :

« Contrairement aux craintes souvent exprimées, l’Allemagne n’a pas connu de black-out depuis l’arrêt de 8 réacteurs.

La fermeture progressive des réacteurs allemands et l’arrivée massive d’électricité d’origine renouvelable sur le réseau électrique nécessite de passer à un autre modèle de production d’électricité, reposant sur un plus grand nombre de petites installations de production, variables mais prévisibles. Cette transition nécessite des ajustements mais elle n’est pas insurmontable. Le projet « Kombikraftwerk » (centrale combinée) a montré qu’on pouvait garantir un approvisionnement électrique sûr et 100% renouvelables 24h/24, tout au long de l’année uniquement grâce à une multiplicité d’installations situées dans tout le pays.

Le principal enjeu n’est pas technique, mais économique : mettre fin au monopole des gros fournisseurs capitalistiques pour passer à un système reposant sur une diversité de petits producteurs. »

Sur ce sujet, le Physicien nucléaire, polytechnicien, Bernard Laponche est très clair. Son interview de 2011 en dit long sur la voie française du tout nucléaire. Mais au final, en France, ne serait-ce pas surtout les mentalités qui doivent changer ?

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Comment convaincre les gens qu’entrainer une turbine en faisant bouillir de l’eau radioactive, c’est la seule solution ? #EGE

lundi 2 juin 2014 à 19:16

La propagande est un sujet souvent abordé sur Reflets. Parce qu’elle est présente à tous les niveaux dans le monde moderne. Renommée lobbying, la propagande est un moyen fantastique pour faire plier des masses de population, transformer leur opinion afin d’agir dans un sens précis. Ainsi, en France, le nucléaire, source de plus de 75% de la production électrique, est un sujet de propagande très en vogue depuis longtemps. Une structure comme l’Ecole de guerre économique (EGE) forme des professionnels à fabriquer de la propagande. En plus clair : transformer une réalité gênante en quelque chose d’acceptable, voire de positif. Si vous doutez des méthodes pratiquées par ce type d’école, que vous pensez qu’ils pourraient porter plainte pour diffamation, vous vous trompez. Ils assument parfaitement. C’est leur travail. Le nucléaire est d’ailleurs un exemple très parlant : suivez le guide…

coucou-cest-encore-lui

Ce personnage a-t-il un rapport avec le sujet ? Si vous pensez que oui : tapez #1 – Si non, fermez la page.

Une étude pour apporter des solutions propagandistes

Ce document intitulé « LE NUCLEAIRE, L’ENERGIE D’AUJOURD’HUI ET DE DEMAIN — Comment conserver le nucléaire ? » est un cas d’école au propre et au figuré. Vous pouvez le consulter ici. Le principe de cette étude est fort simple et son objectif, écrit en toute lettre :

L’exploitation du nucléaire apparaît comme un enjeu majeur, celui de l’indépendance énergétique. Cet enjeu stratégique est à mettre en perspective avec l’enjeu économique des entreprises du secteur, et avec les exigences de sureté et sécurité centrées sur l’indépendance des organismes de contrôle et sur la localisation des centrales. L’objectif de cette synthèse est de présenter certaines défaillances représentatives des entreprises de production électrique nucléaire, d’analyser l’origine de ces défaillances : environnementales, humaines ou techniques, et de proposer des recommandations autour d’un plan de communication dédié à chaque problématique.

Un plan de communication ? Absolument. Suit donc le principe général :

Le plan d’action proposé est organisé autour des messages suivants :
• En l’état actuel de la technologie, il n’existe pas encore d’énergie de substitution viable à grande échelle
• L’énergie nucléaire est la source d’énergie la meilleure marché aujourd’hui
• Les sources d’énergie issue de la combustion de matières fossiles sont très polluantes et insuffisantes
• Un contrôle public unique comme en France, même si il est perfectible, permet aujourd’hui d’offrir la meilleure garantie en matière de sûreté.
• La création de normes et process internationaux dans la gestion de crise est nécessaire

En conclusion, le développement d’une argumentation rationnelle autour du nucléaire semble-être la seule alternative possible : il s’agit de changer la perception générale vis-à-vis du nucléaire.

Les messages sont donc très clairs, même s’ils sont mensongers, le plus important étant de changer la perception générale [de la population, ndlr] vis-à vis du nucléaire. Quitte à mentir un peu, atténuer des phénomènes ou carrément détourner l’attention de réalités bien ennuyeuses. Si pour les rédacteurs de l’EGE, il n’existe pas « d’énergie de substitution viable à grande échelle » , il est surprenant de constater que la planète s’en passe très bien pour produire de l’électricité : seulement 11,7% de l’électricité mondiale est produite par le nucléaire. Ce qui laisse tout de même 88,3% de production électrique par d’autres moyens. Mais à l’EGE, quand on aime, on ne compte pas.

production-monde

Le nucléaire est l’énergie la moins chère ? Là encore, l’affirmation est assez cocasse : cette étude du MIT démontre exactement l’inverse, et le rapport de la cour des comptes sorti en janvier 2012 précise que le prix de 22 €/MWh en 2010 a progressé de 11%, et que ça n’est pas près de s’arrêter : maintenance, démantèlements, nouveaux investissements, sécurité… Précision utile : le document de l’EGE date de 2011, quelques mois après la catastrophe de Fukushima. L’ »exercice » de type commande, d’une telle analyse semble évident, puisqu’à l’époque la perception générale du nucléaire était tout sauf positive. On peut le comprendre…

Décrypter les vrais problèmes pour les annuler en termes… de communication

Ce qui est vraiment bien avec les propagandistes comme  ceux de l’EGE, c’est que pour parvenir à créer des campagnes de comm’ efficaces, convaincre les masses [pour leurs clients], ils sont forcés de faire des vrais constats afin de pouvoir ensuite contrer les arguments concernant les problèmes soulevés. Dans le cas du nucléaire, ce document de l’EGE est très éclairant. Merci, donc, à l’EGE, de nous offrir ces analyses effrayantes sur la dangerosité et la problématique de l’énergie nucléaire.

Comment fonctionne une centrale nucléaire en France ?
Une centrale nucléaire produit de l’électricité grâce à la chaleur dégagée par la fission d’atomes d’uranium. Cette chaleur transforme de l’eau en vapeur d’eau et met en mouvement une turbine reliée à un alternateur qui produit de l’électricité

Et oui, braves gens, une centrale nucléaire n’est rien d’autre qu’une grosse cocotte-minutes. Fort chère, légèrement compliquée dans la technique pour parvenir à faire bouillir l’eau (essayez chez vous, vous allez voir, c’est difficile et un peu dangereux) et carrément archaïque dans la forme, puisque au bout de la chaîne c’est un appareil datant du XIXème siècle  (1888, Nicolas Tesla) qui fabrique du jus : un alternateur. Bon, il est vrai que si le principe est le même, c’est un peu plus gros et évolué, mais quand même, tout ça pour ça…

nucleaire

Suit la gestion des déchets, très vite évacuée :

Aujourd’hui en France, la production de 1 MWh d’électricité d’origine nucléaire (équivalent à  la consommation mensuelle de deux foyers) génère environ 11 g de déchets radioactifs. Par an et par habitant, cela représente moins de 1 kg de déchets. Par comparaison, la masse de déchets hautement toxiques est de 100 kg par an et par habitant.

Très bel argument choc, en se disant que décidément dans la comm’ et la guerre économique la comparaison permet un relativisme très rassurant. Avec quand même 65 millions de kilos de déchets nucléaires générés chaque année en poussant des boutons pour faire chauffer le café parce que les cafetières sont électrifiées par des cocotte-minutes radioactives géantes. Mais comme les déchets toxiques sont 100 fois plus importants…on ne va pas chipoter non plus.

Viennent ensuite les défaillances, avec de très jolis histogrammes des accidents nucléaires sur la planète au cours du temps. Mais le plus intéressant survient lorsque l’Ecole de guerre économique se préoccupe de Fukushima. Cette partie du document est intitulée : « Comment rassurer sur les failles techniques et humaines« .

De questions intéressantes sont posées, parce que les anti-nucléaire les soulèveront à l’encontre des clients des rédacteurs de l’EGE :

Fukushima au Japon, séisme ayant entrainé un tsunami;
• Plus de 500 000 personnes déjà évacuées
• Bientôt des millions de personnes malades
France :
• Pourquoi la moitié des sites sont construits sur des zones sismiques?
• Est-ce que nos centrales sont protégées des risques d’inondation ?

risques-sismiques

Les gens vont parler d’informations ennuyeuses, c’est certain. Ils l’ont fait déjà. Et l’EGE a des réponses « rassurantes », bien qu’ils se demandent quand même si tout ça n’est pas un peu « bidon » :

normes-bidon

Des choses vraiment agaçantes et alarmantes sont soulignées dans le rapport :

Problématique : les solutions de stockage actuelles montrent des défaillances notoires.
• les déchets, qu’ils soient issus de déchets technologiques solides (boues radioactives) ou de produits de
fission se caractérisent par l’intensité des radiations émises, et de leur durée de vie (de courte à longue)
• le stockage des déchets toxiques reste problématique, leur nombre s’accroît
• les déchets hautement radioactifs renferment des cendres et des résidus issus des combustibles irradiés en réacteurs : ces déchets concentrent 90 % de la radioactivité
ils perdent progressivement leur radioactivité sur des dizaines de milliers d’années !
• de plus la question des déchets nucléaires va encore s’aggraver vers 2010 avec le démantèlement
programmé en France des centrales aujourd’hui en activité car les centrales des années 1970 arriveront
en fin de vie !
• il faut rappeler que la dose maximale d’irradiation «sans risques» pour un homme est en France 5 fois
supérieure à celle des normes internationales.

Et oui, on est un peu dans la m*** en France avec ce parc nucléaire unique au monde. Même si on s’est débrouillé pour que les doses radioactives acceptables soient 5 fois plus élevées qu’à l’international. Hum hum hum. Comment faire alors ? Lisez le document dans son ensemble, mais la conclusion de l’EGE est très simple :

L’énergie nucléaire n’est pas considérée comme une énergie propre. Les différents accidents en centrales, les bombes, les problèmes liés aux essais nucléaires, les différents accidents liés au retraitement des matières usagées, le manque d’entretien de centrale en Europe de l’Est etc. sont autant d’arguments qui en font un mode de production d’énergie anxiogène, par définition difficilement contrôlable. Développer une argumentation rationnelle autour du nucléaire semble-être la seule alternative possible.

En gros : le nucléaire, c’est carrément pourri, dangereux, mais comme on est payé pour faire que ça soit la seule alternative possible, il faut développer des argumentaires pour faire rentrer dans le crâne de tout le monde qu’en France, ce sera nucléaire et rien d’autre.

Dans ce cadre, une approche de fond, plus axée sur la pédagogie et les conditions d’encadrement seraient recommandables. A titre d’exemple, des opérations sont en effet menées pour faire accepter les risques du nucléaire par des cabinets spécialisés dans ce créneau comme Mutadis Consultants. Ce cabinet a mis en place plusieurs groupes de recherche pour disposer des contres expertises nécessaires pour convaincre l’opinion publique et minimiser les risques associés à l’implantation des centrales. (…) 

incident-accident

Conclusion finale de l’EGE :

Les défaillances et les dangers du nucléaire existent. Mais le nucléaire reste la source d’énergie la plus fiable, la moins chère et la seule ayant la capacité à couvrir nos besoins énergétiques. 

Et voilà le travail.

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