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Terres de Gandhaäl (5) – Livre 1 : « Fondations »

mardi 7 juillet 2015 à 11:50

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Les deux voyageurs n’en revenaient pas encore. Les parfums floraux entêtants qui montaient de l’eau tiède dans laquelle ils flottaient étaient sans doute pour beaucoup dans cette sensation d’enivrement qui se répandait peu à peu en eux. Les deux jeunes femmes les avaient menés jusqu’à une grande écurie où une vingtaine de chevaux la tête penchée hors de leur stalles, curieux, avaient accueilli les nouveaux venus par un concert de hennissements. Là, elles les avaient aidés à soigner leur bêtes. C’est ensuite qu’ils furent guidés à travers de nombreux couloirs et escaliers de pierre jusqu’à cette pièce décorée de lourdes tentures de laine aux murs chargés de plantes arborescentes, dont les fleurs d’un blanc immaculé dégageaient ce parfum délicieux et euphorisant. Mortesse et Seghuenor étaient immergés dans de petits bassins circulaires carrelés de faïences azur, perpétuellement alimentés par un jet d’eau tiède et parfumée, jaillissant de la bouche pulpeuse d’une sculpture de marbre blanc représentant un femme nue à la queue de poisson.

Les compagnons de voyage étaient muets depuis qu’ils étaient entrés dans leurs bassins respectifs, trop accaparés par les caresses bénéfiques que leur prodiguait ce bain réparateur. Les jeunes femmes leur avaient tendu des carrés de toiles de lin afin — avaient-elles précisé — qu’il se sèchent, ainsi qu’une paire de pantalons et une chemise de toile écru, puis s’étaient éclipsées. Mortesse avait fait le vide en lui et fermait les yeux. Le chef des marins du continent sud s’endormait peu à peu sans même se préoccuper de la suite des événements. Seghuenor n’avait pas cette faculté incroyable à se laisser aller, à oublier jusqu’au but même qu’il s’était fixé durant les courts instants de répit qui pouvaient survenir. Ses pensées étaient toutes dirigées dans une seule et même direction : comment aborder et convaincre — si cela était possible — ce mystérieux personnage dont les poètes, scribes et autres penseurs des terres du sud leur avaient parlé en des termes si flatteurs, la voix empreinte de respect — comme subjugués — si bien qu’ils avaient tous deux quitté leurs responsabilités et entreprit ce voyage périlleux entre tous ?

Au prime abord l’affaire s’engageait bien. La vallée magnifique, l’ambiance paisible et les jeunes femmes qui les avaient accueillis avec joie, soulignant qu’ils étaient attendus…Un petit détail pourtant noircissait le tableau : les lumières tamisées qui diffusaient d’étonnantes sphères orangées telles des astres crépusculaires sur les parois de pierre n’étaient pas produites par des flammes. Il y avait là quelque chose d’inquiétant pour le guerrier, et un seul mot pouvait définir ce miracle : Shalaaï. La force surnaturelle que les hommes-dieux, les Kendaïs avaient invoquée pour mieux asservir les habitants des terres; cette sorcellerie, mystérieuse énergie capable de prodiges comme de catastrophes terribles. Seghuenor chassa ces idées sombres d’un mouvement de tête. Il verrait plus tard ce qu’il en était. Le seigneur de Shaleenmär s’enfonça un peu plus dans l’eau jusqu’à que sa longue chevelure anthracite soit toute entière immergée. Il se sentait mieux, détendu. Sa décision était prise, il se redressa et en fit part à son compagnon, immobile et silencieux dans le bassin à la droite du sien.
— Mortesse !
— Oui, Seghuenor ?
— Nous avons presque réussi ce pour quoi nous avons risqué nos vieilles carcasses fatiguées, le sais-tu ?
— Bien sûr, ami, bien sûr…mais pour les vieilles carcasses, tu es le seul dans ce cas, sache-le.
— Toujours aussi subtil, vieux requin. Je pensais à Jalïn Doldiën et me disais; si nous sommes bien en sa demeure; qu’il serait préférable d’attendre un peu avant de lui dire pourquoi nous sommes ici. Qu’en penses-tu ?
— Je pense que tu es le plus diplomate de nous deux, et que je passerais bien une nuit ou deux avec la plus grande des sœurs siamoises. Notre mission peut bien attendre un peu, non ?
— Incorrigible coureur de femelles ! Je te parle de Jalïn Doldiën, l’homme pour qui nous avons traversé la mer du centre, la moitié du grand continent nord, et toi tu penses à mettre des femmes dans ta couche ! Nous ne lui parlerons de nos problèmes et ne lui feront part de nos requêtes que demain. Je ne veux pas qu’il s’offusque et nous renvoie bredouilles à Shaleenmär… Quand aux siamoises, je ne te conseille pas de leur faire la cour dès ce soir, tu pourrais t’attirer les foudres d’un mari jaloux ou d’un père possessif. Ne nous égarons pas Mortesse, ne nous égarons pas !
Le grand gaillard à la chevelure de feu se mit à rire à gorge déployée. Son corps volumineux agité de convulsions — Mortesse était plus grand de deux têtes que son compagnon, plus lourd d’une moitié— soulevait l’eau du bassin qui retombait tout  autour de lui et inondait par vaguelettes successives le sol de la pièce. Le colosse se leva bruyamment et son rire décru pour se changer en un gloussement équivoque. Il s’empara de la toile de lin posée sur une chaise sculptée près du bassin et entreprit de se sécher avec, tout en répliquant d’un ton où perçait l’ironie :
— Tout est parfait ! J’attendrai demain pour m’occuper de la grande et délicieuse brune, je vérifierai qu’elle n’a point de parti ou de tuteur entêté — ces deux mots côte à côte le firent s’esclaffer une nouvelle fois — et nous demanderons ensuite au seigneur Doldiën s’il daigne nous prêter main forte dans nos grands desseins; c’est bien cela Kenda  Seghuenor ?
— Parfaitement, répondit le petit homme à la peau couleur d’ébène. Je vois que nos péripéties ne t’ont pas fait perdre le sens de l’humour et que tu aimes toujours autant m’agacer. Allez, il est temps d’aller rencontrer nos hôtes et les remercier.
A peine les deux hommes furent-t-ils vêtus — les pantalons de Mortesse lui allaient à la perfection, ce qui était un exploit vu sa taille — que les deux jeunes femmes pénétrèrent dans la pièce et poussèrent des exclamations de surprise enjouées :
— Comme vous êtes mieux ainsi ! On vous reconnaît à peine! Le bain était assez chaud ? Les parfums vous ont plu ? Le seigneur Doldiën vous attend, il veut vous saluer avant que nous ne commencions la fête. Allez, suivez-nous, venez !
Mortesse et Seghuenor n’eurent pas le loisir de répondre : chacune d’elle prit la main de l’un d’eux—Mortesse s’empourpra quand la plus grande des jeunes femmes, sa préférée, le choisit — et les guidèrent joyeusement à travers un dédale de couloirs et d’escaliers en colimaçons, continuant à rire et à babiller comme deux enfants espiègles.

Hacking Team n’est pas une société de surveillance

lundi 6 juillet 2015 à 14:22

Hacking TeamContrairement à ce qu’on a pu lire ici ou , Hacking Team n’est pas à proprement parler une société de surveillance ou d’espionnage.

Hacking Team fournit des moyens illégaux aux autorités pour que ces dernières puissent mener des intrusions dans des systèmes cibles pour effectuer une surveillance des populations. La fuite de plus de 400 go montre, comme l’on pouvait s’en douter, que des pays comme le Maroc, le Soudan, l’Ethiopie ou encore le Kazakhstan profitent de ces outils pour maintenir « l’ordre démocratique » dans leur pays.

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On parle de moyens illégaux car Hacking Team est une entreprise privée qui vend des vulnérabilités (0day) permettant de compromettre les systèmes d’informations d’autres entreprises privées. À titre de comparaison, une entreprise qui vendrait un système capable d’ouvrir toutes les portes de voitures et de les faire démarrer serait probablement trainée devant les tribunaux et n’aurait jamais le droit de commercialiser ses produits… Mais sur Internet, ça ne se passe pas comme ça.

Pour paraphraser un petit homme, ce n’est pas Internet qu’il faut civiliser, mais bien les personnes qui s’octroient des droits sous prétexte d’Internet, droits qui visent principalement à réduire ceux des utilisateurs.

Les outils d’Hacking Team peuvent aussi bien porter sur de la surveillance bien ciblée que de la surveillance plus massive. Les outils offensifs d’Hacking Team sont déployables à l’échelle d’un pays se vantait la société dans une vidéo promotionnelle publiée en 2013.

Quand reconnaitrons nous qu’il y a un sérieux problème à laisser une société privée faire un tel business ?

Terres de Gandhaäl (4) – Livre 1 : « Fondations »

samedi 4 juillet 2015 à 18:20

chap2

Chapitre II

Une nuée de minuscules moineaux s’égailla dans un concert de sifflements et de battements d’ailes à l’approche des intrus. Les deux soleils jumeaux commençaient à disparaître derrière le pic d’Anstarä, fabuleuse aiguille minérale haute de trois mille foulées dont le sommet couvert de glace scintillait comme un feu de diamants. La nature, par miracle était redevenue accueillante depuis qu’ils avaient gravi cette colline impossible. Une jungle de ronces, de fougères géantes aux feuilles acérées comme des lames de rasoir qu’ils avaient du tailler à l’aide de leurs épées afin de se frayer un passage. Les deux hommes avaient perdu la belle assurance qu’ils affichaient avant de pénétrer dans ce territoire inexploré; ces deux journées passées à lutter contre la nature et les éléments les avaient éprouvés au point que l’un d’eux avait proposé de rebrousser chemin. La réponse de son compagnon avait été alors cinglante:

— Je te croyais plus vaillant que cela, Mortesse; un seigneur de guerre, un marin invincible qui implore pitié aux herbes folles ! Ressaisis-toi ! tu ne peux te permettre, ne serait–ce qu’un instant, de penser à abandonner. Nous n’avons pas fait tout ce chemin pour nous en retourner sans l’avoir rencontré.

L’homme à qui s’adressaient ces mots acides redressa la tête et cracha bruyamment par terre. Ses longs cheveux couleur de braise n’étaient plus qu’un infâme tas de fils informes couverts d’épines et de mousses. Sa barbe était dans le même état, son visage, couvert de balafres sanguinolentes et ses vêtements, en loques. Il ne croyait plus aux belles paroles que proféraient son ami et compagnon de voyage. Ils couraient après des légendes, il n’y avait rien à trouver derrière ces montagnes étouffées par le lierre, la ronce et les fougères. Le plus grand navigateur connu sur la Dîm-Azäth ressemblait à un vieillard au crépuscule de sa vie, implorant que l’on abrège ses souffrances. Mortesse soupira et lança d’un ton désabusé :

— Mon cher Seghuenor, le seigneur de guerre te souhaite d’aller finir au plus profond des enfers de Shubda et que les femelles démons les plus grosses, les plus vilaines et les plus perverses te bouffent les couilles éternellement…

Leur échange verbal en était resté là, conclu par un rire libérateur. Le pic d’Anstarä s’était ensanglanté sous les flèches pourpres des astres solaires. C’était le seul repère pour parvenir à trouver celui à qui les deux hommes venaient demander aide et conseil. C’était d’ailleurs le seul élément naturel dont ils connaissaient précisément le nom, hormis la ceinture de montagnes enneigées—nommée dans son ensemble la mâchoire de Cromax—et peut-être cette immense étendue de collines hostiles aux torrents glacés dans laquelle ils progressaient avec tant de difficultés : Gondoriän.

La nuit n’allait pas tarder à étendre son voile obscur; les prédateurs à sortir de leurs repaires pour partir en quête de nouvelles proies. Les deux voyageurs avaient senti de nombreuses présences inquiétantes au cours des deux nuits passées dans la contrée. Chacun d’eux éprouvait en lui cette sensation malsaine, comme un œil inquisiteur fixé sur le moindre de leurs mouvements, sans oser l’exprimer à l’autre. Pourtant, la traversée de la mer centrale, la Dîm-Azäth — puis celle de plus de mille chevauchées du continent nord qu’ils avaient effectuée avant de parvenir en cette contrée — comportait de nombreux dangers. Ils avaient du repousser les assauts de bêtes sauvages, fuir la vindicte de tribus hostiles et échapper in extremis à une horde de Jaaks rouges, ces féroces créatures humanoïdes avides de sang humain. Mais désormais ce n’était plus tout à fait pareil. Le danger, l’inconnu ne se montraient pas, ils étaient simplement présents sans qu’on puisse les nommer ni les décrire. Heureusement, depuis que les collines de fougères et de ronces étaient derrière eux ils ressentaient comme un soulagement, la fin du calvaire, peut-être. Ils parvinrent au sommet d’un escarpement rocheux et leurs chevaux, bien qu’épuisés, ne firent pas de difficultés pour les suivre. Les équidés savaient qu’avec la nuit proche c’étaient le repos et la nourriture qui s’annonçaient. Les deux voyageurs s’avancèrent un peu plus sur le grand socle rocheux et se regardèrent sans rien dire. D’un même mouvement ils tournèrent de nouveau le regard vers le spectacle incroyable qui s’offrait à leur vue. Un sourire d’émerveillement et de bonheur prit forme sur les visages burinés et couverts de balafres de Mortesse le flamboyant et Seghuenor le parcimonieux, fondateurs des premiers royaumes marchands des terres que l’on nommerait plus tard, « Terres de Gandhaäl ».

 

* *

*

 

C’était une vallée enchanteresse qui s’étendait, lascive, devant eux. Les derniers rayons de soleil faisaient chatoyer les murs des terrasses de pierres qui parsemaient ses flancs composés d’innombrables variantes de vert, telle que peut les produire une nature luxuriante et aimée de l’homme. Les deux voyageurs distinguaient les cultures en terrasses et les arbres fruitiers indénombrables où des silhouettes humaines coiffées de larges chapeaux finissaient de s’affairer. Des troupeaux de moutons, flocons blancs serrés les uns contre les autres dégringolaient des sentier de pierres surveillés par des chiens virevoltant en un ballet effréné. Trois torrents enjambés par des ponts de pierre serpentaient les pentes de la vallée au gré des fantaisies du relief et finissaient leur course dans une vaste étendue aquatique cernée de roseaux : un miroir d’argent scintillant sous les feux auburn des soleils couchants. Légèrement en retrait du lac, où s’égaillaient des myriades d’oiseaux lyres, une vaste bâtisse à l’architecture complexe, aux murs de pierre multicolores semblait surveiller les collines arides et inhospitalières d’où provenaient les deux hommes. Seghuenor fut le premier à réagir après que son esprit se fut empli des sensations multiples que généraient en lui l’extraordinaire vision de la vallée. Il tapa sur l’épaule de son vieux compagnon et lui dit d’un ton jovial :

— Je crois que nous avons véritablement trouvé Gondoriän, cette fois-ci !

Malgré la douleur que ses lèvres striées de gerçures lui infligeaient, Mortesse sourit. Quelques perles de sang coulèrent dans sa barbe sans qu’il n’y prêta attention.

— Par tous les démons de la Dîm-Azäth, Seghuenor, je ne croyais plus que cet endroit puisse exister, et encore moins qu’il soit aussi…aussi…

Le petit homme à la peau noire finit la phrase du colosse roux debout à ses côtés dans une exclamation victorieuse :

— Magnifique !

— Oui, c’est exactement ça, magnifique…conclu Mortesse.

Les ailes d’encre de la nuit se déployaient lentement, plongeant la vallée dans un manteau d’ombres. De minuscules étoiles dorées se mirent à briller à travers les coteaux noyés dans la pénombre, des cloches firent entendre leurs tintements cristallin, annonçant aux hommes et aux bêtes la fin de la journée.

Mortesse se mit en selle aussitôt imité par son compagnon. Les chevaux avaient eux aussi compris quel havre de paix se trouvait en contrebas et leurs cavaliers durent refréner leur ardeur tout au long de la descente, de peur qu’ils ne glissent sur les pierres qui jonchaient le sentier escarpé. Arrivés près du lac, ils s’engagèrent dans un petit chemin pavé de galets cerné par les herbes folles et les joncs. Il devenait de plus en plus difficile d’y voir clair ; les deux compagnons laissèrent leurs montures se fier à leur instinct. Les animaux les menèrent devant la vaste demeure de pierre après une longue promenade le long des rives du lac où s’exhalaient les senteurs les plus variées de fleurs de nénuphars et autres plantes aquatiques.

La bâtisse aux murs de pierres sèches et aux tours effilées n’avait pas de porte ou de herse, simplement une large ouverture pratiquée entre les murs percés de fenêtres ovales aux carreaux de verres colorés. Les deux hommes pénétrèrent dans une cour intérieure au sol recouvert d’une mosaïque de dalles rocheuses. Les torches fichées dans des tiges de métal projetaient des ombres dansantes sur les murs silencieux. Une dizaine de bâtiments de taille et de hauteurs différentes composaient l’ensemble architectural, reliés les uns aux autres par des passerelles de bois. De chaque bâtiment jaillissait des tours rondes aux toits couverts de tuiles en pierre plates que les trois lunes à peine levées faisaient briller comme les écailles d’une multitude de poissons imaginaires. Mortesse et Seghuenor mirent pied à terre. Tous deux avaient perçu la musique légère et dansante qui parvenait faiblement de l’une des maisons. C’était un moment unique pour les deux voyageurs fourbus. Le calme et l’harmonie qui imprégnaient les lieux les berçaient imperceptiblement. Une vague de bien-être s’immisçait insidieusement dans chaque parcelle de leur corps et de leur esprit. Ils n’eurent pas le loisir d’écouter plus avant la charmante mélodie et profiter de la douceur de l’instant : des rires féminins éclatèrent dans la cour comme une cascade de verres de cristal se brisant soudainement dans l’air chaud de la nuit. Seghuenor fit un pas de côté et maintint fermement le licol de son cheval : rien ne lui assurait que les habitants de ce bel endroit étaient pacifiques. Mortesse lui, écarquillait les yeux pour mieux discerner les ombres qui s’approchaient en riant de plus belle. Deux jeunes femmes aux longues chevelures brunes se tenaient devant eux, les mains sur les hanches, continuant à pouffer comme si le spectacle que les deux cavaliers offraient était irrésistible. L’une d’elles, la plus petite, cessa de s’esclaffer et les désigna du doigt tout en lançant d’une voix aiguë :

—Vous êtes les deux voyageurs dont nous a parlé le maître! Vous êtes encore plus drôles que ce que nous ont dit les guetteurs qui vous suivaient !

Un rire enfantin conclu la phrase de la jeune femme. Mortesse ne laissa pas le loisir à la seconde de répliquer ; il parla de sa voix la plus bourrue, ses yeux lançaient des éclairs alors qu’en lui-même une irrésistible envie de s’esclaffer faisait jour :

— Dites-moi les drôlesses, c’est ainsi que vous recevez les invités par chez vous ? Appelez donc votre maître, vous allez voir comment il va vous corriger pour se moquer ainsi de nous ! Allez, dépêchez-vous ! La plus grande des jeunes femmes fit deux pas en direction du cheval du colosse qui roulait toujours des yeux pour mieux appuyer ses paroles. Elle lui sourit. Le géant, immobile à quelques centimètres du jeune visage, put apprécier l’ourlet charmant de ses lèvres, d’un rose délicieux, le nez fin et droit, les yeux en amandes, la chevelure soyeuse dans laquelle l’éclat des lunes faisait jouer des reflets bleutés. Le navigateur déglutit, la beauté féminine le troublait, elle lui faisait perdre à chaque fois ses moyens. Il lança un regard en direction de Seghuenor et n’eut pas le loisir d’interpréter ce qui s’affichait sur les traits de son compagnon. La jeune beauté caressa la tête du cheval et d’un claquement de langue le fit s’avancer. L’animal la suivit sans résistance.

D’une voix douce et sensuelle elle lança à l’intention des deux voyageurs :

— Suivez-nous, et ne soyez pas si inquiets, il faut soigner vos chevaux et vous changer. Vous verrez le maître ce soir, il y a fête, et tout le monde sera enchanté d’entendre des visiteurs du dehors. Allez, venez !

La seconde beauté s’approcha de la monture de Seghuenor et fit de même que sa comparse. Les deux compagnons se dévisagèrent sans mot dire et suivirent docilement les jeunes femmes à travers la cour.

Radio Reflets #8 : la société, le judiciaire… (invité : Serge Portelli)

mercredi 1 juillet 2015 à 18:17

on_air#RadioReflets8 – vendredi 3 juillet 2015.

Cliquer ici pour écouter l’émission en direct à partir de 17h

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Format Ogg – Format mp3

Le thème :

Le changement c’est maintenant nous avait promis François Hollande. Sur de nombreux sujets, force est de constater qu’il n’est pas encore arrivé. Certains commentateurs voient même une sorte de continuité entre le quinquennat Sarkozy et celui de François Hollande. L’utilisation de l’expression « Guerre de civilisation » par Manuel Valls laisse penseur.
Radio Reflets a donc décidé d’inviter un écrivain, également président de chambre près la Cour de Versailles. Outre le fait qu’il ait réussi à contrer par les mots Nicolas Sarkozy dans une émission de télévision, Serge Portelli est un fin analyste de la société et un connaisseur, évidemment, du système judiciaire français.
Nous avons souhaité le recevoir pour passer en revue les changements éventuels intervenus depuis 2012 dans la société et l’appréhension du monde judiciaire par le nouveau pouvoir exécutif.

L’invité : Serge Portelli. Président de chambre près la Cour d’appel de Versailles. Il a été conseiller auprès du président de l’Assemblée nationale et doyen des juges d’instruction au tribunal de Créteil. Serge Portelli est également membre du syndicat de la magistrature. Serge Portelli est a également publié de nombreux ouvrages sur les questions de maltraitance des enfants, sur le traitement de la récidive et sur la réforme de la Justice. Il s’est également révélé être un farouche opposant à Nicolas Sarkozy.

Animateurs : Drapher, Kitetoa

Technique et programmation musicale : Epimae.

Playlist musicale :

A venir.

Le flux audio est assuré par Tryphon

Hashtag : #RadioReflets8

La date : le vendredi 3 juillet 2015, de 17 h à à 18h15.

Terres de Gandhaäl (3) – Livre 1 : « Fondations »

mercredi 1 juillet 2015 à 15:35

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Danda ouvrit les yeux. Il ne vit rien d’autre qu’une nuit d’encre. Il tendit l’oreille. Aucun son ne lui parvint. Il remua la main droite et tâtonna du bout des doigts. Du cuir, lisse et froid. Ses jambes étaient ankylosées mais il parvint à les replier puis à les basculer sur le côté. Son dos le lançait et une pluie de petites piques se projeta du bas de sa nuque et pénétra son cerveau. Une douleur aigüe s’ensuivit qui l’obligea à fermer les yeux et serrer la mâchoire pour ne pas hurler de douleur. Une constellation d’étoiles clignotantes remplit son champ de vision puis s’estompa, faisant de nouveau place à la nuit d’encre. Le souvenir du banquet et de la jeune femme revint en une succession d’images colorées qui donnèrent le frisson à l’ambassadeur d’Anglar. Il avait crû contrôler la situation, distribuer des cartes. C’était un leurre. Il avait été manipulé, jouet docile et naïf des Golgiens. Cette pensée lui procura immédiatement un sentiment de révolte et de dégoût qui se manifesta par un regain d’énergie. Il parvint à relever le buste. Ses yeux commençaient à s’habituer aux ténèbres qui enveloppaient la pièce. Un mince filet de lumière grisâtre filtrait d’une persienne sur sa gauche, il se leva pesamment et s’en approcha à pas mesurés. Les volets s’entrouvrirent sous la poussée qu’il effectua des deux mains. La monumentale cité de Khaäl-Nezbeth apparut, telle un monstre tentaculaire aux protubérances grossières et purulentes. La vue des milliers de tours chargées de sculptures obscènes, des esclaves empalés le long des pontons de pierres volcaniques, de la brume épaisse et grise qui serpentait entre les ruelles tortueuses donnèrent la nausée à Danda qui ne put se retenir de vomir violemment toutes ses tripes. Que faisait-il ici? Ce n’était que folie de sa part d’avoir pu penser convaincre les buveurs de sang de s’allier à l’empire marchand. Mais pourquoi était-il encore en vie, que voulaient donc de lui Ziäd et son sorcier?

Le petit homme détourna le regard de la ville, cracha par terre et s’essuya les lèvres rageusement du revers de sa veste. Il n’y avait pour tout mobilier dans la pièce que ce lit recouvert d’une pièce de cuir usé. A l’autre extrémité, une porte de bois bardée de pièces de métal. Il s’en approcha et tourna le loquet. A sa plus grande surprise l’anneau de métal s’actionna sans bruit et la porte joua sur ses gonds. Un couloir où brûlait une torche presque consumée. Désert. Danda n’osait pas avancer, son estomac était noué et il eut de nouveau envie de vomir. A l’instant où il s’apprêtait à rebrousser chemin, une voix inconnue, aigrelette, jaillit du couloir.

— Sieur Danda, c’est un plaisir de vous voir remis ! Venez, venez, vous êtes attendu, n’ayez aucune crainte, approchez.

Le vieux diplomate, chancelant, fouilla du regard le sombre couloir sans parvenir à identifier celui qui s’adressait à lui en langue commerçante, le Gandh, de façon parfaite. Une ombre de très petite taille s’anima à quelques pas. Danda baissa les yeux et vit alors son interlocuteur. C’était une créature à la peau grise, pas plus haute qu’un enfant de quatre ou cinq cercles. Sa tête, chauve, était disproportionnée par rapport au reste du corps, tordu et chétif. Un visage immonde aux yeux globuleux flanqué de deux fentes à la place du nez, à la bouche dépourvue de lèvres. C’était un Chtoïn, l’émissaire en avait déjà croisés plusieurs années auparavant dans une armée Morglangienne. Celui-ci était particulièrement laid et dégénéré. La créature grimaça un sourire et fit une courbette.

— Nos maîtres sont très contents de vous, ils vous attendent. Si vous voulez bien me suivre…

Danda resserra les pans de sa veste de fourrure et s’engagea derrière le Chtoïn qui déjà disparaissait déjà à l’angle du couloir.

*  *
*

Un sablier avait suffit pour conclure les premiers termes d’un futur accord entre les deux cités. Danda n’en revenait pas encore. Il passait et repassait en revue cette dernière rencontre alors qu’il approchait des côtes de l’empire marchand d’Anglar, accoudé au bastingage du même navire qui l’avait conduit jusqu’au Ghöl-Amgöth, sans comprendre encore comment cela avait été possible. Le Chtoïn l’avait conduit jusqu’à Ziäd alors en pleine séance de massages. Allongé sur une couche jonchée de fourrures, visiblement détendu et satisfait, celui-ci l’avait félicité pour sa bonne volonté vis à vis du véritable maître de la cité des prêtres noirs, le Kendaï Shubda, grand régent des démons et de la luxure. Danda avait alors compris à cet instant quelle était l’identité de la splendide jeune femme qui l’avait envoûté au cours du banquet. Lui qui croyait rencontrer l’homme-dieu au cœur d’un temple dédié à sa gloire, tremblant et agenouillé, avait en fait copulé avec lui sur une table d’auberge…. Ziäd lui avait ensuite fait part du vif intérêt que ses propositions d’alliance commerciales avaient suscité. Trois rouleaux de parchemin lui furent confiés, cachetés de cire, qu’il ne devrait ouvrir qu’une fois en présence des dirigeants d’Anglar. Déstabilisé mais enchanté par la tournure des évènements, le vieux diplomate avait ensuite longuement conversé avec le seigneur de Khaäl-Nezbeth des possibilités qu’offriraient ces échanges entre l’empire sombre et la jeune nation marchande. C’était un songe, la situation était rocambolesque. Ziäd l’avait remercié de sa visite, assuré de son amitié et le fit même raccompagner jusqu’à son petit deux mats accompagné par une troupe de délégués officiels et d’esclaves porteurs de caisses remplies de cadeaux pour le vaillant Seghuenor, prince d’Anglar. Là on lui souhaita bon voyage. Il tirèrent l’encre sans encombres, l’équipage était au complet. Danda resta debout à l’arrière du bateau à observer la cité des prêtres noirs jusqu’à que les tours effilées ne soient plus qu’une nuée de petits points sombres qui se confondirent avec les écharpes de brumes courants sur les vagues. Le capitaine ne lui posa aucune question. C’était la règle qui avait été établie dès le départ de l’expédition. Ils étaient désormais, après une semaine de mer, à quelques encablures de la cité des mille marchés. Danda voyait étinceler la coupole de verre du palais encore en construction. Il avait réussi. Un sourire victorieux s’épanouit sur ses lèvres. Dans quelques heures il irait au palais apporter l’incroyable nouvelle: l’empire sombre, par le biais de sa deuxième cité, acceptait de s’allier à la première nation humaine des terres de Gandhaäl !