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Le travail : parlons-en…

mercredi 25 mai 2016 à 10:21

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Une partie de la population se fâche contre la régression réforme du droit du travail — instiguée et passée en force par le gouvernement socialiste — mais peu de médias traitent le fond du sujet, pourtant central, celui du… travail. Justement.

Le travail, c’est la justice ?

Dans un pays riche, industriel et développé, le travail est un enjeu de société crucial. Toute la société française repose sur l’activité de production, qu’elle soit de biens ou de services, et ce, pour une raison simple : le modèle de société actuel est issu de la révolution industrielle, et s’est renforcé au cours du XXème siècle par des luttes sociales. La santé, l’éducation, les transports, les loisirs, l’alimentation, toutes les activités indispensables à la cohésion et au bon fonctionnement de la société sont dépendants du travail de millions de personnes qui produisent ces biens et ces services. Cette évidence n’est pas forcément claire dans d’autres pays, qui fonctionnent à l’aide de rentes tirées des énergies fossiles extraits de leur sol, l’utilisation de travailleurs étrangers expolités et sans droits, ou encore du refus de certains d’Etats d’investir pour les infrastructures de base.

En France, les personnes travaillent, en retirent un revenu, en reversent une partie à la collectivité (l’Etat) qui investit dans les infrastructures, puis ils consomment des biens et services qui rapportent des revenus à ceux qui les vendent, etc… La règle établie jusqu’alors est simple : travailler correspond à avoir une activité rémunérée dont une partie est retirée au travailleur pour payer des cotisations sociales, taxes et autres impôts qui permettent de bénéficier d’une somme de services et protections au sein de la société. Le travailleur à des droits et des devoirs, tout comme l’employeur. Jusque là, tout va bien…

L’étrange renversement des valeurs

Ce qui est survenu en quelques décennies est un mouvement de fond déjà ancien et propre au systèmeme économique en place, mais il est fondamental. Ce mouvement est le basculement de la part du travail vers celle du capital, et au delà, de l’inversion des valeurs. Pour faire simple : plus vous êtes en charge de produire le bien ou le service d’une entreprise publique ou privée, donc au cœur de ce qui crée de la valeur dans la structure, moins votre revenu est élevé. À l’inverse, moins vous êtes productif, donc plus vous êtes éloigné de la fabrication, du travail concret que votre entreprise fournit, plus votre revenu est élevé.

Prenons l’exemple de n’importe quelle société de service, comme un call-center. Ce que produit une entreprise de ce type est simple à envisager : un service par téléphone à des usagers. Il faut donc des opérateurs qui répondent à des clients par téléphone. Sans les opérateurs, l’entreprise n’existe pas. Il y a bien entendu d’autres salariés nécessaires au fonctionnement du service, comme les commerciaux, les comptables, mais dans des mesures moindres que les opérateurs. En réalité, une fois l’entreprise lancée, si l’on ne gardait que les opérateurs, le service pourrait parfaitement fonctionner sans commerciaux. Sans superviseurs. Sans gestionnaires. Sans chef. Avec les comptables, mais pas plus. La réalité que chacun connaît est que le moins payé dans ce type d’entreprise est celui qui effectue tout le travail nécessaire à créer la valeur… intrinsèque à l’entreprise. Les mieux payés le seront au fur et à mesure de leur inutilité dans la structure. Le comptable, utile, (encore que les progrès de l’nformatisation permet de relativiser leur activité) sera un peu mieux payé, mais nettement moins que le commercial, relativement inutile.

C’est donc lorsque nous arrivons tout en haut, dans le cercle des dirigeants, qui ne produisent jamais aucune valeur intrinsèque, que les plafonds de salaires explosent. Sachant que sans ces dirigeants, la valeur continuerait à se créer.

Dans un supermarché, une usine de voitures, une station service : moins vous êtes au cœur de l’activité, moins vous créez de valeur directe dans l’appareil de production, mieux vous gagnez votre vie, plus votre salaire est élevé. Ce constat est important pour plusieurs raisons : la première est que la valeur du travail s’est inversée. La deuxième est que l’échelle de revenus ne correspond absolument plus à la réalité sociale.

Travailler sans métier, là est l’avenir

La dichotomie perverse du système en place à été très bien vendue à grands coups de discours martellés de façon systématique, pour éviter de questionner le fond du problème. Celui de la captation des richesses issues du travail par une classe minoritaire.

Lorsque l’on parle des personnes qui travaillent, le mot « travailleurs » peut être utilisé. Il l’est de moins en moins pour une raison simple : ce terme fait ressortir l’énormité de l’injustice en place. Un travailleur à un métier qu’il exerce. Que ce métier soit peu ou très qualifié ne change rien au fait que le travailleur a une activité référencé, connue, avec une formation qui s’y affère, etc…

Pourquoi ne parle-t-on pas de travailleurs quand il est question des « patrons », des cadres dirigeants, de toutes les personnes à hauts salaires qui ne participent pas directement à la création de valeur ? Parce qu’ils n’en sont pas, des travailleurs. Il n’ont en général pas de métier établi qu’ils exercent. « Patron » n’est pas un métier (ni entrepreneur), cadre dirigeant est une fonction. Mais que fait-il exactement ce cadre dirigeant ? Où est son métier concret ?

Plus vous savez effectuer une tâche professionnelle précise, que votre métier est connu, établi, moins vous pourrez bénéficier d’un bon revenu. Le cas des rédactions est amusant à traiter : les articles, sujets antennes, sont produits par des journalistes, majoritairement précaires. Ils sont les moins bien payés de la rédaction. Sauf que sans eux, pas de média. Toutes les personnes qui ne descendent jamais dans la salle de rédaction, ne produisent jamais rien pour le média, n’ont jamais la main sur les sujets et la ligne éditoriale, sont les mieux payés de l’entreprise. La promotion salariale des individus passe par la capacité à ce qu’ils soient de plus en plus incompétents et improductifs. Cet état de fait à été théorisé dans les années 70 sous le nom de principe de Peter.

L’avenir salarial appartient  donc à ceux qui ne savent rien faire et ne produisent rien. Ce sont eux qui captent la majorité de la richesse produite. Dans une logique absurde qui tue la créativité, l’envie de faire, et inverse le mérite professionnel. Comment est-il possible de continuer à parler de travail dans ces conditions ?

Recréer une logique de la valeur

Face à ces constats, confortés par les discours médiatiques sur la « valeur des patrons » — qui si elle doit être « peut-être un peu régulée « ne peut être remise en cause selon eux — dont les salaires peuvent atteindre 400 fois le salaire le plus bas de leurs entreprises, le combat est inégal. Il a été admis que les salariés qui effectuent des tâches indipensables pour la production de l’entreprise sont des sous-merdes qu’on doit payer le minimum, et que ceux qui les « dirigent » peuvent se payer chaque mois plusieurs années de salaires des premiers. Celui qui a le « pouvoir de décision », la fonction sans métier établi est celui qui vaut le plus, celui qui agit, exerce son métier, vaut le moins.

Pourtant, il est possible de créer des structures autres.

La scop est une structure coopérative où chaque salarié est actionnaire. Tout le monde est « patron » dans une scop. Cela ne signifie pas que tous les salaires doivent être les mêmes. En fonction de la difficulté des tâches exercées, des qualifications requises, des disparités de salaires peuvent bien entendu exister, mais elles sont déterminées par l’ensemble des salariés, qui de toute manière sont intéressés aux bénéfices de l’entreprise. La logique de la valeur n’a rien à voir dans une structure où chaque salarié est actionnaire. Où chaque voix compte. Où chaque métier peut s’exprimer au sein du conseil d’administration.

Réformer le travail en France pourrait être une bonne chose. Surtout si un gouvernement de gauche s’y attelait, puisque la gauche est censée transformer la société pour aller vers une plus grande équité, créer les conditions d’une lutte contre les injustices sociales, et participer à une mise en cause effective de la captation du capital par ses détenteurs. Redistribuer. Rendre les salariés actionnaires. Orienter vers la détention participative, à l’intéressement, à la prise de décision des salariés dans l’orientation des entreprises et l’équilibre des salaires.

Ce serait beau, non ?

Le travail est central pour l’équilibre d’une société. Surtout quand il en manque. Tenter de réduire les droits des salariés, les humilier encore plus en donnant plus de pouvoirs aux improductifs détenteurs du capital [ou asservis à leur cause] est une très mauvaise idée. Au point que c’est l’équilibre de la société tout entier qui pourrait être brisé.

L’éloge du travail dans la bouche de ceux qui n’ont jamais exercé aucun métier est une provocation. Jusqu’où pourra-t-elle être soutenue ?

Évasion fiscale, colère sociale et picotement anal

samedi 21 mai 2016 à 11:02

bercyL’administration fiscale va ouvrir 3 nouveaux centres fiscaux pour accueillir des « repentis fiscaux », vous savez, ces gens qui font de « l’optimisation fiscale » (quand ils ne volent tout simplement pas l’Etat), comme nous faisons de « l’optimisation culturelle » quand nous partageons un mp3 en P2P.

Ces « repentis fiscaux » ont grugé la France et les français, ils sont loins d’être étrangers à la période de violence sociale que nous vivons. Et on leur déroule un putain de tapis rouge ?!

C’est à vomir.

C’est l’impunité la plus totale pour ces « repentis » qui ont pourtant commis un vrai délit, un délit bien plus grave qu’une mère qui a du mal à boucler ses fins de mois et qui ira voler un steak dans un supermarché pour son gosse. Pour elle, aucun passe-droit, on la traînera devant les tribunaux… mais pour eux, ces 45 000 connards qui vont planquer leurs millions dans des paradis fiscaux, rien.

Ça me fait mal au cul, ça me fout en colère. Nous sommes des millions à être en colère, des millions de victimes, pendant plusieurs années, d’une pression fiscale et sociale qui s’exerce sur nous à cause de ces 45 000 voleurs, nous sommes des millions de victimes et nous devrions même en ce sens porter plainte.

Si le verrou fiscal de Bercy ne saute pas, c’est l’équilibre social qui finira par sauter, et on en retrouvera collé au plafond.

A la DGSI, on aimerait bien « contraindre les opérateurs »

jeudi 19 mai 2016 à 19:34
Le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure, Patrick Calvar, a été auditionné le 10 mai dernier par la Commission de la défense nationale et des forces armées.
Sur le chiffrement des communications, et suite aux attentats de Bruxelles, le chef des renseignements français a expliqué « qu’aucune interception n’a été effectuée » mais que si ça avait été le cas, « même une interception n’aurait pas permis de mettre au jour les projets envisagés, puisque les communications étaient chiffrées sans que personne ne soit capable de casser le chiffrement« .
Le patron de la DGSI conclut ainsi : « Je crois que la seule façon de résoudre ce problème [du chiffrement] est de contraindre les opérateurs ».
La logique est sauve avec la DGSI, puisque même quand ce service n’intercepte « rien », ça ne sert de toute façon à « rien » puisqu’il y aurait… le chiffrement. L’enquête a montré que des sms non chiffrés avaient été échangés par les terroristes, mais ça, Patrick, ça ne l’intéresse pas.
La DGSI, ce service bien français, qui fonctionne au conditionnel…

Do you speak lacrymo?

jeudi 12 mai 2016 à 20:03

Bon, j’ai entendu le passage du 49-3 en direct, comme on écouterait un match de foot, en croyant jusqu’au bout qu’il se passerait quelque chose, genre la station Mir qui tombe juste devant l’Assemblé Nationale. L’annonce du report des votes, déjà, ça laissait peu d’espoir, et le suspens n’a pas été long. Passage en force.

Gros bazar devant l’Assemblée, le pont est bloqué, grosse pluie. Grosse flemme, je rentre, et je rate la fête de la lacrymo et de la grenade à broyer les couilles.

Nuage de lacrymo et parapluies

Nuage de lacrymo et parapluies

Donc, manif officielle ce jeudi, jour de vote de la motion de censure. Les frondeurs se sont humiliés à deux voix près, il n’y a aucune chance pour celle posée par l’UDI et LR.

Le trajet de la manif est atypique. Denfert – Assemblée. Dans le quartier des cols marguerite et jupes plissées.

Bon, yet another manif, on retrouve les mêmes pancartes, banderoles et groupes. Par contre, la foule est très mélangée, que ce soit les tranches d’âges ou la répartition hommes/femmes. Le casque est très tendance, avec du scotch dessus, pour désigner les journalistes ou les médics, ou sans rien.
Une proportion étonnante de masques divers, pour respirer. Du masque à poussières au masque à gaz en passant par l’écharpe de supporteur ou le keffieh. Et les masques, c’est pour tout le monde, on a dépassé le stade du distinguo entre le vilain casseur et de la mémé militante : masques pour tout le monde. La lunette de piscine reste un classique, tout comme le masque de ski, plus impressionnant.

Un rigolo distribue des bouts de PQ et met du citron dessus. Quelle idée saugrenue. Ah tiens, un gros nuage blanc, alors que je suis en milieu de manif, côté syndicat, et donc du côté des gentils comme l’a bien précisé la Préfécture de Police. Ah oui, ça pue, ça pique, ça pleure, ça tousse. Pas si saugrenue que ça son idée.

Les trajets innovants sont toujours stressants. On ne connaît pas forcément les voies de sorties, ni même si on est proche de la destination ou pas. Des toutes façons, au bout d’un moment, il n’y a plus de voies d’échappatoires, les rues adjacentes sont bloquées avec des murs de plexis maintenus par une espèce de parapluie géant, installé au cul d’un camion bleu marine. On a passé le stade du mur de CRS avec qui les petits vieux ou les poussettes peuvent négocier, là, on a un mur, grillage + plexi, comme au zoo. On ne négocie pas avec un mur.

Ça commence à bouchonner devant l’église Saint-François-Xavier. La fin du trajet est proche, le camion de la CGT, à ma hauteur, annonce qu’ils vont plier le gros champignon, et annoncer la dispersion. La place est super pleine, je ne sais où je suis, ni ce qu’il se passe. Situation des plus classiques. Oh, un envoi de grenade lacrymo, en cloche. La fascination de ces tirs sur les manifestants est comparable aux feux d’artifice sur les zombies de Romero. Sauf que là, c’est en odorama, et ça pique très fort. La place était tranquille, remplie, mais sans tension, sans bruits, et pouf, en welcome bonus, les lacrymos.

C’est gentil de demander la dispersion sur une place avec les issues verrouillées. Bon, le boulevard tourne et revient en arrière, et on débouche devant l’église, faisant juste une petite boucle. Voilà, nassé, avec le reste de la manifestation, bien dense, qui arrive.

Il est juste 16h, autant attendre un peu l’heure du vote, au moins. Glandouillage sur le téléphone. Ah tiens, il y a deux réseaux HSBC. La banque est à l’autre coin de la place, et elle a été repérée. C’est écrit « Panama papers », en gros, dessus, à la bombe, en rappel à ceux qui ne suivent pas l’actualité. Bon, ça commence à se remplir, l’énervement à monter. Ah tiens, une volée de bouteilles et autres projectiles en direction de la banque. OK, j’ai fait mon quota et je n’aime pas les tonfas, je prends la seule voie ouverte, avec juste quelques gardes mobiles trop espacés pour bloquer quoique ce soit.

C’est normal, ils bloquent un peu plus bas. Donc, ils dispersent la manif à la lacrymo, ET ils bloquent les voies de sorties. Ils doivent compter sur l’évaporation, ou un truc comme ça. Mais c’est mal fichu, ils sont suffisamment nombreux pour empêcher de passer, mais trop peu pour nous empêcher d’insister. Ils ont surtout compris que leur position n’est pas légitime, pour ne pas dire absurde. La foule se densifie, et n’est pas impressionnée par les playmobils, paf, un passage s’ouvre, une vague de manifestants peut passer.
Ils n’ont rien trouvé de mieux que de filtrer, et donc de refermer derrière la première vague. Sauf que les gens qui sont passés ne rentrent pas gentiment voir les images du 20h dans leur maison, ils restent juste derrière. Les CRS se retrouvent, trop peu nombreux, avec des gens devant et derrière. C’est une très bête idée, il faut le reconnaître.

Ça commence à chanter « Laissez les passer » et à taper des mains. Une foule qui agit en cadence, ça change tout de suite l’ambiance. Des syndicalistes passent un peu en force, avec leur camionnette. Un CRS est vexé, il sort son Baygon vert, enfin, son gros spray pour en arroser un, un bon coup de 49-3 dans la gueule. Sauf que la cible, c’est une ménagère de plus de 50 ans, pas un dangereux zadistes, classique punching-ball. Ses collègues syndicalistes en gilet orange lui rincent le visage à grande eau, à la bouteille, pendant que les gens filment la scène au téléphone. Voilà, pour l’exemple, une femme, âgée. La pédagogie du CRS.

Bon, ça vire au vinaigre, j’ai eu ma dose. Dans le métro, des annonces de stations métros bloquées, de part et d’autre de l’Assemblée Nationale, il y a donc eu du monde, malgré la fatigue, le temps de merde et le passage en force de la loi.

Par contre, la fable du gentil manifestant encadré par les syndicalistes responsables, et les vilains casseurs qui cassent une si belle ambiance, ça va être dur à vendre.

Néolibéralisme et post-colonialisme sont dans un bateau, et #NuitDebout tombe à l’eau… ou pas ?

dimanche 8 mai 2016 à 08:36

Vouloir envisager les blocages d’un pays comme la France en contester les politiques, se positionner comme défenseurs d’une alternative de société, tout en faisant l’économie d’une synthèse politique globale… est un peu casse-gueule, voire suicidaire. Le mouvement Nuit Debout se cherche, creuse des pistes de réflexion, tente de mener une analyse de fond sur les problèmes graves qui touchent la société française, mais se refuse pourtant à faire émerger un mot d’ordre clair, à établir une vision politique permettant un ralliement plus massif de toutes les couches de la populations pouvant adhérer à la pensée du mouvement.

Le refus de la hiérarchie — parfaitement compréhensible et souhaitable  au sein du mouvement — mène pourtant, jusqu’alors, à une impossibilité de hiérarchiser les idées. Si tout se vaut, si chaque parole est équivalente, que rien ne doit émerger plus qu’autre chose, le résultat des commissions de Nuit Debout est plus proche de la soupe mixée, ou chaque ingrédient s’est tellement bien mélangé que l’on ne peut plus savoir de quoi la soupe est constituée. Est-il possible de faire avancer — et faire croitre — un mouvement horizontal, non-hiérarchique et potentiellement apolitique — pourtant demandeur de changements — en refusant de proposer une feuille de route politique, un projet rassembleur ?

Que dénonce Nuit Debout ?

Créé à la suite des mouvements sociaux contre le projet de la Loi Travail, les citoyens participant à Nuit Debout sont unanimes pour dénoncer l’écrasement potentiel ou vécu des salariés par [de nombreuses] entreprises, la toute puissance du capitalisme financier et la collaboration active de la classe politique pour renforcer ces phénomènes. De façon plus claire, plus intelligible, Nuit Debout dénonce la main mise du néolibéralisme sur la société. Le néolibéralisme n’est pas une invention sémantique tordue — n’en déplaise aux défenseur d’un libéralisme politique humaniste et émancipateur — mais un constat basé sur des politiques économiques et sociales.

Le néolibéralisme ne veut pas réduire le pouvoir de l’Etat pour libérer les citoyens de son joug. Le néolibéralisme est piloté par des Etats, des superpuissances, et sa seule ambition — déjà partiellement accomplie — est  de transformer toute chose en marchandise. Les hommes et les femmes comme la culture, les relations, la santé, l’éducation ou encore, les biens communs.

Cette idéologie qui ne se nomme pas elle-même, est en action de façon constante depuis 25 ans grâce à la création ou l’augmentation des capacités d’action d’institutions internationales tels le FMI, l’OMC, la Banque mondiale, aidé par la Commission de Bruxelles, d’accords commerciaux transnationaux (TISA, ELENA, Traité transpacifique), de la BCE,  de la FED, de toutes ces structures qui travaillent en permanence à donner le maximum de pouvoir aux firmes géantes transnationales, et par ricochet au système financier mondial. La volonté commune et avérée de ces organisations et entreprises géantes, vérifiée par les faits, est l’abolition de tous les droits récemment mis en place puisqu’ils limitent l’expansion des dites firmes : droits sociaux, environnementaux, de douanes, de santé, de protection des biens publics, etc.

Ce simple constat, qui n’a pas de frontière politique, partagé par des électeurs de droite comme de gauche — mais nié par la majorité des élites politiques de droite comme de gauche puisqu’elles-mêmes achetées par les bénéficiaires du néolibéralisme — est le cœur du problème dénoncé par Nuit Debout. La situation économique, sociale, politique française (et au fond désormais de quasiment toutes les sociétés de la planète) est entièrement dépendante de l’invasion du néolibéralisme dans toutes les strates du fonctionnement du pays, invasion effectuée par étapes successives depuis bientôt 3 décennies. Avec en tâche de fond, un post-colonialisme qui ne s’éteint pas. Ce sont ces deux phénomènes que Nuit Debout dénonce, sans les nommer clairement : Néolibéralisme et post-colonialisme.

De la hiérarchie… des idées

Refuser toute idéologie signifie en réalité refuser toute idée du monde. Idéologie ne veut pas dire adhésion à une idéologie politique établie. Et pour autant, affirmer une idéologie est indispensable pour n’importe quel mouvement social. Il est d’ailleurs possible de créer une idéologie. Etre anti-capitaliste n’est pas la même chose qu’être opposé au néolibéralisme. Ne pas faire la nuance entre les deux est une faute d’appréciation qui oriente et amalgame deux phénomènes — qui bien que liés — ne sont pas similaires. Vouloir une société française sans capitalisme est amusant et intellectuellement — pourquoi pas — très valorisant, mais totalement absurde et improductif du point de vue politique et économique. Aucun groupe — même important — voulant une sortie du capitalisme ne peut y parvenir et n’y est parvenu, pour la simple et bonne raison qu’aucune condition ni proposition alternative crédible n’existent, et que la société française est tout sauf en vase clos.

La sortie du capitalisme ne pourrait se faire que de façon mondiale, sous l’impulsion impérieuse et très certainement contrainte des puissances capitalistes elles-mêmes, puissances qui seraient alors très certainement en train de s’écrouler. Le néolibéralisme, par contre, lui, peut tout à fait être démoli, mis à l’index, écarté, démonté — chacun peut choisir le terme qu’il souhaite — afin d’orienter le « système capitaliste » vers autre chose. Les sociétés humaines ne pourront que s’en porter mieux, malgré le désarroi d’une poignée d’actionnaires milliardaires. Un capitalisme social, à visage humain, coopératif est-il possible ? Très certainement. Faut-il encore l’admettre.

Pourquoi Nuit Debout ne revendique-t-il pas de façon centrale son opposition au néolibéralisme ? Avec des propositions politiques claires pour étayer cette première brique idéologique : les contrôles fiscaux des multinationales généralisés, une harmonisation européenne du droit du travail vers le haut, une charte européenne des « droits incontournables » (environnement, santé, éducation, etc), des tribunaux spéciaux pour les « entreprises voyous » avec protection totale des lanceurs d’alerte, le contrôle des banques et des lois bancaires de séparation des activité de dépôt et d’affaires, l’interdiction pure et simple des sociétés offshore et des transactions avec les paradis fiscaux… Cette liste n’est en aucune manière exhaustive, mais ceux qui discutent, écoutent, échangent, sur les places françaises devraient facilement pouvoir sortir des propositions politiques réalistes et applicables de ce type ?

Dire tout haut ce qui ronge la société

Le post-colonialisme est un deuxième enjeu idéologique qui semble majeur dans le mouvement Nuit Debout. Parce qu’il est entièrement lié à la progression et la justification du néolibéralisme. Ce phénomène est à la fois politique, économique et social. Le principe du post-colonialisme est simple : laisser les pays impérialistes ex-détenteurs de colonies continuer à gérer les pays décolonisés — ainsi que les personnes immigrées issus des ex-colonies — sur un registre équivalent à la période coloniale. En moins visible au sein des pays impérialistes, de façon parfaitement assumée dans les ex-colonies, via les firmes internationales et leur cortège de corruption et d’asservissements des travailleurs pauvres.

La fin de la Françafrique, annoncée par Sarkozy, puis Hollande est encore un vieux pieux, une promesse politique non tenue. La société égalitaire tant vantée par les défenseurs de la République « une et indivisible » continue d’entretenir les discriminations quotidiennes les plus criantes. Tant que l’indigène ou l’enfant d’indigène resteront des « citoyens inférieurs », sur qui tous les soupçons peuvent peser — puisque aucune loi n’interdit les discriminations sur les contrôles d’identité, n’empêche les recrutements sur critères ethniques ou géographiques, ou le refus de logement basées sur l’origine — la société française continuera de s’éteindre lentement dans l’entre soi. L’innovation, politique, économique, sociale, quelle qu’elle soit ne peut survenir que si tous les acteurs d’une société sont incités à participer. Ecarter des millions de personnes par la discrimination empêche le dynamisme, crée des tensions, épuise les personnes concernées et divise la population.

Recréer du lien social passe par l’abolition de tous les post-colonialismes encore en activité, qu’ils soient internes à la France ou exportés à l’étranger. Un projet humaniste, progressiste, moderne ne peut faire l’économie de traiter ces phénomènes. Parler de ce problème et convaincre les foules est certainement moins évident, mais après tout, en quoi la dénonciation du post-colonialisme et de ses effets dévastateurs serait-il réservé à un bord politique ? Le camp d’été réservé aux « non-blancs » qui s’annonce (et donc interdit aux « blancs ») organisé par un groupe d’activistes de Nuit Debout est une réponse fortement décalée et inquiétante face à ce sujet. Il n’est pas certain qu’en réalisant de telles opérations ségrégatives, ceux qui dénoncent le post-colonialisme remportent l’adhésion du plus grand nombre.… De la même manière, les réunions non-mixtes sont le meilleur moyen de fermer toute action collective positive et rassembleuse.

Nuit Debout pourrait transformer l’essai… ou pas

Ce n’est peut-être pas aux gens qui squattent les places de créer une structure « force de proposition ». Mais ceux qui la créeraient pourraient en tout cas indiquer qu’ils sont inspirés par Nuit Debout. Un collectif politique, oui, avec des gens, dont des « jeunes », issus de tous les milieux, inconnus des médias, comme de nombreux intervenants de Nuit Debout : travailleurs sociaux, économistes, ouvriers, intermittents, salariés, sans-emploi, entrepreneurs, universitaires…

Le principe ? Etablir une proposition « d’alternative politique réaliste », ce qui est appelé en général un « programme ». Nuit Debout continuerait son expérience par les discussions, pendant que le parti  (ouh, un gros mot, mais Madame Michu, elle, elle a besoin de comprendre, et un parti politique, elle comprend…) de  la« Politique debout » ( oui, le PD, ça claque) irait lui, au casse-pipe médiatique… puis électoral. Si le système le lui permet (parrainage, temps de parole, etc) ? Pas besoin de se positionner sur l’échiquier politique, puisque de toute manière, en 2016, plus personne n’est en mesure de savoir qui est à gauche ou à droite. Ce qui n’a d’ailleurs plus aucun intérêt.

Certains croient que cette option politique ne « peut jamais rien changer », que « c’est mal », sauf qu’en France, ça n’a jamais été tenté. Et que toutes les autres solutions faites de mouvements militants, quels qu’ils soient, n’ont jamais produit aucun changement significatif. Comme disait Coluche : »Le système, pour l’enculer, faut rentrer dedans ». Rester à côté du système, en mode tailleur et secouage de mains, c’est marrant un moment, mais ça peut quand même vite retomber dans les oubliettes de l’histoire. Et surtout finir par convaincre les foules, que Nuit Debout, c’est « rien que des beatniks qui foutent rien et passent leur temps à discutailler ».

Il est donc possible d’instiguer cette mutation des idées depuis Nuit Debout vers la politique, en douceur, aidé par plein de gens bienveillants de tous bords (la confédération paysanne est venu à Nuit Debout, comme Edgar Morin, voir vidéo ci-dessous) — qui pourraient très bien comprendre et soutenir le sens de la chose — ou bien, continuer de refuser de « jouer le jeu politique ». Avec un risque très élevé, dans ce dernier cas, de se retrouver à genoux, les pantalons baissés et quelques représentants de la force publique derrière soi. Pas bienveillants du tout. Le tout orchestré d’une main de maître par qui l’on sait.

Mode gonzo on : C’est un choix à faire, ou pas.  C’est en tout cas, [pour moi], un passage incontournable pour empêcher l’extinction du mouvement et de ses idées. J’en ai la conviction, conviction qui peut, il va sans dire, ne pas être partagée par tous (spéciale dédicace à Benjamin B), mais que je partage avec moi-même. Mode Gonzo off

Sachant qu’Edgard Morin pense lui, qu’il « ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, et commencer par se reconnaître, se rassembler, pour que le mouvement établisse une charte, afin de devenir un lobby (…) Il faut avoir une finalité électorale, mais simplement municipale par exemple » dit le sociologie-philosophe, qui ne refuse pas qu’il y ait un candidat à la présidentielle mais « de manière symbolique « . En gros, pour Morin, il faut continuer à penser, sans rentrer dans « des formules électorales ».

La problématique du néolibéralisme et de la manipulation des masses, ce « néototalitarisme », est pointé du doigt par le deuxième philosophe, Vincent Cespedes qui explique qu’il y a une nécessité à changer la donne politiquement, une fois la « conscientisation » des gens effective.

Bref, alors que #GlobalDebout arrive, le 15 mai, Nuit Debout, même s’il est malmené par les médias (à la solde de la classe politique ?) qui n’arrêtent pas depuis deux jours d’annoncer que les « Français ne soutiennent plus Nuit Debout, qu’à 49% (sic) », peut devenir une force qui compte.

Si une convergence, pas seulement des luttes, mais des idées, des aspirations, se crée, avec un ensemble plus large, international ? Et qu’une offre politique, peut-être pas sous forme  dans un premier temps  de parti politique, survient ? Pour permettre à des millions de personnes — qui veulent une autre société et détestent le « néototalitarisme » en marche — de se raccorder au mouvement. Et peser. Pour faire changer la donne ?

Pourquoi pas ?