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Global zombification : surtout, ne changez rien !

mercredi 23 novembre 2016 à 11:05

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Après une campagne électorale américaine de haut vol, nous voilà, en France, face à la primaire de droite : un spectacle démocratique extraordinaire. Dans le même temps, l’ex banquier et ex ministre de l’économie, un homme anti-système et révolutionnaire, s’est déclaré pour la présidentielle française : Emmanuel Macron.

François Fillon, cette figure incontestée de… quoi ? François Fillon n’est rien en politique, juste un pantin qui a exécuté des ordres pendant 5 ans sous les talonnettes d’un politicien véreux qui a réussi à aspirer une partie des voix du FN pour se faire élire en 2007 ?

Reprenons tout depuis le début.
Nous sommes dans un monde habité par une majorité de zombies, décrit par des zombies, dirigé par des zombies qui ont comme objectif de « zombifier » l’ensemble de la planète. Si vous n’y croyez pas et pensez que tout ça « c’est même pas vrai » et que « les théories du complot ça commence à bien faire » — mais que vous êtes curieux quand même, alors suivez le guide. Vous allez voir, c’est très amusant… mais pas que.

Quand plus personne ne sait quoi faire, tenter n’importe quoi semble le plus approprié

L’injonction contradictoire est une méthode managériale pour se débarrasser des éléments indésirables d’une entreprise, ou à minima, pour les rendre dociles. A force de devoir faire tout et son contraire, ou tenter de suivre des ordres impossibles à accomplir, l’employé s’épuise et craque psychologiquement. On peut ainsi le tenir sous son emprise, en laisse. Ou l’épuiser pour l’évacuer et le remplacer par quelqu’un de moins cher. C’est ainsi, par exemple, que fonctionne le système hospitalier français, avec des obligations de résultats de plus en plus élevées et des moyens… de plus en plus réduits. Les salariés de l’hospitalier en viennent à se suicider, et quand ils résistent à la pression, à simplement travailler comme des zombies. Dépressifs. Se sentant coupables, mais zombifiés : sans volonté, passifs, effacés, en pilote automatique.

Cet état de fait n’est que très peu relayé par les zombies de l’information, sauf quand il y a des morts ou des débuts de manifestation un peu fortes parmi les personnels hospitaliers. Puis les zombies de l’info passent à autre chose. De plus zombie-compatible. Et c’est bien normal, puisque les zombies de l’information sont eux-mêmes pris dans un processus de zombification. Les précaires sont légions dans le monde de l’information, ce qu’on appelle « lémédia », comme dirait Lordon. Le précaire a peur : de perdre son travail, de ne pas pouvoir payer ses traites à la fin du mois, d’être remplacé par un autre plus jeune, plus passif face à la direction, moins tenté de se rebeller. A termes, il passe en mode zombie, parce que c’est le plus simple et le moins inquiétant : recopier les articles des autres en les modifiant un peu, bâtonner des dépêches AFP, écrire des articles les plus lisses et les plus neutres possibles, animer des émissions ou présenter des journaux en évitant toujours les questions qui fâchent. En suivant la pensée zombie, celle qui a recouvert le monde. Une pensée qui ne fait jamais acte de réflexion ou de contestation « d’évidences » érigées en dogme, même lorsqu’elles s’effondrent dans les faits.

Et c’est là, dans cet instant particulier qui arrive à son apogée, dans la médiocrité, l’aliénation de la pensée généralisée, qu’arrivent les chefs zombies de la dézombification déclarée. Ceux qui annoncent que « comme plus personne ne sait quoi faire, parce qu’on tourne en rond comme des zombies, il faut faire quelque chose ! » Et que proposent-ils, puisqu’ils sont eux-mêmes des zombies en chef ? N’importe quoi…

Proposer n’importe quoi n’est pas donné à tout le monde, mais y croire, si

De nombreux politiciens sur la planète ont compris que dans un monde zombifié, où la pensée critique et la réflexion de fond ont disparu, le mieux était de raconter n’importe quoi, de proposer de changer les choses avec des propositions totalement décalées au regard de ce qui était jusqu’alors « pensé ». Ce contrepied au « bon sens zombie officiel de l’ordre établi ou ses contestations même les plus pertinentes » est censé démontrer aux zombies que leur sort n’est pas scellé, que peut-être bien qu’en essayant des trucs totalement débiles et incohérents, qui n’ont aucun sens historique ou politique mais sont censés « remettre en question » les politiques zombies en cours depuis 30 ans, tout en poussant encore plus loin le pire de ces politiques, on pourrait faire émerger un autre monde. Oui, bien sûr, mais lequel ? Un monde de zombies, désormais rassurés de l’être ? Possible. Regardons de plus près quelques propositions jetées en l’air, tant chez nos cousins tueurs de bisons ainsi que chez nous, au pays des fromages qui puent et des représentants des forces de l’ordre qui obligent les conductrices à leur faire des gâteries pour faire sauter leurs PV…

Trump a expliqué que le mal absolu qui blessait son pays de zombies, c’étaient « les autres ». Mais oui ! Caramba, mais c’est bien sûr ! On n’y avait pas pensé : les autres, c’est le mal (ou l’enfer pour certains). Le président zombie américain a donc promis plein de choses pour stopper « les autres », ceux qui blessent : l’économie zombie américaine, le marché zombie de l’emploi américain, l’industrie zombie américaine, le mode vie zombie américain, la race zombie américaine, bref tout ce qui fait la grandeur zombiesque de l’Amérique. Et ça a marché plutôt bien pour le chef Zombie Trump mais qui désormais recule un peu dans l’application de sa politique, parce qu’une fois qu’on a lancé « n’importe quoi » puisqu’on ne sait « plus quoi faire », un problème survient : Le n’importe quoi est très dangereux dans ses effets. Ce qu’on appelle les « conséquences » d’une politique. Et comme de toute manière le monde de zombies dans lequel on nage — comme un parlementaire français dans les privilèges dignes de la monarchie — est très codifié et orienté dans un sens unique, et bien l’idée qui arrive très vite avec le « n’importe quoi » est celle de reculer. Oui, on ne sait jamais : le n’importe quoi pourrait se révéler un peu catastrophique et les zombies pourraient se rebeller, voire, se dézombifier… Allons savoir ? Sachant que les ténors du n’importe quoi ont participé activement à la zombicfiation actuelle, la situation ne manque pas de sel.

En France, le parc des zombies s’agite, les bras bien tendus en avant devant leurs postes

Il y a une règle dans le monde de zombies, qui s’est mise en place et qui doit perdurer pour que le parc de zombies continue à tourner : regarder la télévision. Ou en avoir une, au moins. Tout en disant « qu’on ne la regarde jamais ». Pour suivre à minima le spectacle des zombies, surtout lorsqu’il y a du « suspens déclaré ». Par exemple, François Fillon et ses propositions de zombie « qui propose n’importe quoi par ce qu’on a tout essayé » est relayé et commenté par un maximum de zombies : de droite, de gauche, de ceux dans lémédia, des artistes zombies, bref, vous avez compris.

Macron, le zombie libéral — mais quand même un peu social il paraît d’après la presse zombie — qui veut faire une « révolution » (de zombies) et appelle à se rebeller contre le « système zombie », propose lui aussi n’importe quoi parce qu’il faut faire n’importe quoi pourvu que ce ne soit pas comme les anciennes politiques zombies. Lémédia zombies sentent que ce serait mieux si c’était Macron, parce que ce zombie là serait peut-être plus de leur côté que d’autres ? Le président zombie François Hollande, dans son palais de l’Elysée plein de zombies, attend, en bon zombie. Le parc de zombies tourne en rond, attend lui aussi, mais grogne de faim, comme chez les cousins du pays « qui tue des noirs parce que c’est des autres », parce qu’on lui a dit, au parc de zombies, qu’ils avaient faim, parce qu’on leur a bien répété qu’ils étaient des zombies tout juste bons à tourner dans leur parc. A passablement s’ennuyer. Alors qu’en faisant n’importe quoi, tout ça pourrait changer… « Parce que c’est plus possible ».

Néamoins, personne n’est prêt à proposer quelque chose pour changer la société de façon humaniste, avec des analyses de fond, basées sur des constats longs et des réalités vérifiables, une vision qui voudrait entre autres que la souffrance humaine est une préoccupation centrale en politique, qu’elle devrait être amoindrie autant qu’il est possible de le faire dans une société digne de ce nom. Qu’accueillir l’autre, celui dans la difficulté en particulier, est une chance, un moyen de rester humain, de rester digne. Mais non.

Et c’est bien normal que plus personne ne s’en préoccupe. Puisque la global zombification est en cours, et que les zombies — qu’ils soient aux manettes ou non — n’ont absolument aucun souci de toutes ces préoccupations d’une autre époque, d’un autre monde. Eux, ils regardent les écrans bourrés d’autres zombies, pensent zombie, se voient zombies, ont des envies de zombies. Particulièrement celle du « n’importe quoi ». L’envie qui ne demande pas de se poser des questions ou de réfléchir, de se questionner, une envie de n’importe quoi, une envie de zombie.

Conclusion provisoire : laisser passer la marée zombiesque bien à l’abri ?

40 ans de politique globale basée sur l’annihilation de toute contingence humaniste, sociale, de destruction de la préservations des acquis universel de l’après guerre pour forcer la planète entière à « faire du commerce de zombies et des profits de zombies à tout prix » a un coût. Il se paye par une transformation plutôt désagréable des individus, observable à grande échelle aujourd’hui.

La fin des êtres humains et leur mutation en zombies est-elle inéluctable ? Zombie de gauche ou zombie de droite, quelle importance ? Zombie salarié ou entrepreneur, réactionnaire ou révolutionnaire, réformiste ou conservateur, précaire ou fonctionnaire, riche ou pauvre, éduqué ou inculte, zombies des tous les pays unissez-vous devant vos écrans et allez les bras bien tendus bourrer des urnes pour la promesse d’un n’importe quoi qui vous unira dans l’espoir d’un monde de zombies nettoyés « des autres ». Vous savez, les autres, ceux qui ont vraiment faim. Sur les routes. Couverts de poussières. Epuisés. Ces zombies que vous craignez tant, et qui ne vous ressemblent pas, dites-vous.

Ces zombies que vous voulez renvoyer chez eux.
Ces zombies qui n’en sont peut-être pas, parce qu’ils n’en ont pas les moyens.

La marée de zombies doit s’exprimer, visiblement, et mettre au pouvoir un prétendant ou une prétendante au n’importe quoi. Une zombie en chef prête à proposer encore plus de n’importe quoi ?

Dans tous les cas :
Aléa jacta est.
Et Dieu reconnaîtra les siens…

Amen.

Petit précis d’Amesys à l’usage de Bernard Cazeneuve

lundi 21 novembre 2016 à 19:57

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(Note : faites clic-clic sur les liens pour bien comprendre toutes les implications de cet article)

Notre ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, est le champion du « pas de failles ». Pas de failles, ni dans la lutte anti-terroriste, ni dans la mise en place du fichier monstre TES. Andréa Fradin a révélé que la société Amesys serait l’un des acteurs de la mise en place du TES, ce qui n’a pas manqué de déclencher quelques interrogations, notamment de la sénatrice Esther Benbassa qui a posé la question au ministre. La réponse, rapportée par nos confrères de NextInpact, a de quoi laisser pantois :

« La sénatrice Esther Benbassa a repris une information révélée par notre consœur Andréa Fradin, à savoir l’implication de la société Amesys dans le périmètre de ce fichier TES. Or, Rue89 rappelle que  « depuis la mort de Mouammar Kadhafi fin 2011, de nombreuses preuves (témoignages, brochures publicitaires…) accusent l’entreprise d’avoir vendu des technologies de surveillance des télécommunications au régime de l’ancien dictateur libyen. Dont il se serait servi pour arrêter et torturer des opposants, en épiant leurs faits et gestes sur Internet ».

Suite à cette mise en cause, Bernard Cazeneuve feint de découvrir ces éléments, pour immédiatement rassurer : « Cette société a été rachetée fin 2010 par Bull, après avoir changé plusieurs fois de mains (…)  La société n’est pas celle dont vous parlez. Son capital a changé depuis ces évènements ». Mais il confirme : la fréquentable Amesys « prendra une partie de la prestation ». »

J’connaipa

Il convient de fournir quelques précisions à Bernard Cazeneuve, qui fait aussi bien semblant de ne pas connaître Amesys, que Jean-Jacques Urvoas, ou Gérard Longuet par le passé.

Amesys n’a pas été rachetée par Bull. C’est l’inverse qui s’est produit et nous l’avions détaillé dans un long article titré « L’étonnante prise de contrôle de Bull par Philippe Vannier, Dominique Lesourd et Marc Hériard-Dubreuil« .

En deux mots, une petite société de services informatiques (SSII) prenait le pouvoir sur le plan actionnarial de la vitrine française de l’informatique : le géant Bull. Une incongruité qui ne peut s’expliquer, sauf à prendre en compte le rôle d’Amesys dans la vente de systèmes d’écoutes massives dans des pays fâchés avec les droits de l’homme et ce que cela a pu apporter à la France.

Le système Eagle, mis au point par Amesys, l’a été avec l’argent du premier contrat. Ce contrat était passé avec la Libye de Kadhafi. L’interface commerciale d’Amesys était Abdallah Senoussi, beau-frère du guide, patron des services de renseignement libyens et… condamné en France par contumace pour son rôle dans l’attentat du DC-10 d’UTA qui avait fait 170 morts dont 54 Français. Voilà qui devrait parler à Bernard Cazeneuve, lui qui est si impliqué dans la lutte anti-terroriste.

La participation d’Amesys à la mise sur écoute des internautes et des utilisateurs de téléphones en Libye a eu des effets tant en Libye qu’en France. L’entreprise est en effet poursuivie pour complicité d’actes de tortures devant le pôle crimes contre l’humanité, crimes et délit de guerre du Tribunal de Grande Instance de Paris. Ce que ne peuvent ignorer ni Bernard Cazeneuve, ni Jean-Jacques Urvoas.

Amesys n’est pas une simple SSII. Il s’agit d’un pivot de longue date du complexe militaro-industriel. Ce n’est bien entendu pas Airbus, Dassault ou Thalès… Mais sa participation à toute une série de projets dans le domaine de l’armement ou des IMSI-catchers par exemple, la placent dans une situation qui lui donnent une visibilité immédiate pour les services de renseignement (et notamment la fameuse boite postale B.G.A.CG350/R) à qui elle vend plein de choses, et donc, par ricochet, pour les gouvernements français successifs.

L’installation d’un Eagle au Maroc, bien après l’affaire libyenne et sous la présidence Hollande, n’a pu être menée à bien sans que le gouvernement n’eut été, a minima, au courant, si l’on tient compte des relations très particulières qu’entretient la France avec ce pays.

Bref, vous l’aurez compris (si vous en doutiez) le gouvernement français sait très bien ce qu’est Amesys, connaît son historique et fait à nouveau appel à cette entreprise en toute connaissance de cause.

S’paeux…

Après la méthode « je ne les connais pas, vous me l’apprenez, mais vos affirmations restent à vérifier », le polyvalent exécutif embraye sur la méthode « c’est pas eux, ce ne sont plus les mêmes qu’à l’époque de la Libye ».

Attendu, mais tout aussi risible que la première tentative.

Bernard… Cher Bernard Cazeneuve… Plus les mêmes ? Attendez, on va vous rafraîchir la mémoire. En attendant, mangez urgemment du poisson, ça va phosphorer !

Premier point, il faut se remémorer comment, voyant que l’affaire libyenne pouvait un jour lui exploser à la figure, Philippe Vannier, patron d’Amesys puis de Bull, a mené son opération enfumage mains propres. Celui-là même qui retirait 3000 euros en liquide, pour couvrir les menues dépenses de son dernier voyage en Libye. Excursion qui visait à vendre un upgrade de son Eagle. Il décidait de « vendre » l’activité DPI d’Amesys. Mais attention, hein, vendre est un grand mot. Le patron de l’activité DPI serait l’acheteur, l’entreprise « choisie » serait hébergée pour les premiers mois de sa vie dans les locaux mêmes d’Amesys. Cerise sur le gâteau, Stéphane Salies, ledit patron de l’activité DPI, était actionnaire de Crescendo Technologies, la holding qui détenait Bull aux côtés de Philippe Vannier.

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Quant à l’entreprise Nexa, qui était créée pour l’occasion, elle scinderait ses activités en deux. En France le DPI pour les entreprises, aux Émirats Arabes Unis le DPI pour les systèmes « nationwide ». Un pays qui très opportunément, n’est pas membre de l’arrangement de Wassenaar qui contrôle la vente des biens à double usage comme le DPI. Désormais, Eagle s’appelle Cerebro (le marketing…), mais c’est la même chose. Notez, cher Bernard Cazeneuve, que les dirigeants de Bull, Philippe Vannier en tête, étaient tellement sûrs de leur impunité qu’ils ont nommé l’entreprise créée dans la zone franche de Dubaï : Advanced Middle East SYStems. Ce qui une fois contracté donne… On vous le donne en mille : AMESYS. Taquins, non ?

© Societe.com

© Societe.com

Comme dirait Bernard Cazeneuve, Amesys d’aujourd’hui n’est plus l’Amesys d’hier. Car depuis, Atos a racheté Bull, et donc, Amesys.

Oui, oui… Mais non.

Atos, dirigée par Thierry Breton a repris Bull. Mais Thierry Breton a gardé Philippe Vannier, qu’il a nommé Directeur Exécutif, Big Data & Sécurité, Directeur de la Technologie. Et c’est en toute connaissance de cause que Thierry Breton a pris cette décision. Ni lui ni Philippe Vannier ne semblent s’inquiéter des conséquences sur l’image d’Atos que pourrait avoir une condamnation dans le cadre de la procédure ouverte pour complicité d’actes de tortures devant le pôle crimes contre l’humanité, crimes et délit de guerre du Tribunal de Grande Instance de Paris. Comme s’il était acquis que cette procédure n’aboutirait pas.

Voilà cher Bernard Cazeneuve, si les opération de bonneteau ont bien fonctionné sur le capital d’Amesys, et ce pour le plus grand bénéfice de ses actionnaires au premier rang desquels Philippe Vannier, ou pour celui de l’Etat français mouillé jusqu’au cou dans les entourloupes de cette entreprise, ou peut-être encore de celles de Qosmos, les hommes sont toujours là. Ils font toujours la même chose, avec les mêmes interlocuteurs. Ou presque, puisque Abdallah Senoussi est en prison. La boite postale B.G.A.CG350/R, quant à elle…

Trump, ou pourquoi les outils de surveillance massive doivent être proscrits

vendredi 11 novembre 2016 à 17:01
gouv.fr

Adresses mail .gouv.fr ayant effectué des achats sur le site d’un sex-hop français

Ce n’est pas la première, ni la dernière fois que Reflets exprime cette position : la mise en place d’outils de surveillance massive, y compris par des Etats dits démocratiques, doit être proscrit. Car il est impossible de prédire l’avenir et le type de régime qui s’imposera. Observez par exemple la différence d’orientation politique entre Mustafa Kemal Atatürk et Recep Tayyip Erdoğan en Turquie. Outre-Atlantique, se pose désormais la question de savoir comment sera utilisée l’immense machine mise en place par le gouvernement américain. Donald Trump aux manettes, tout peut arriver. Bien entendu, tout n’était pas rose sous Barack Obama, l’immense augmentation des morts par drones par rapport à l’époque Bush en est un exemple. Mais cette fois, le locataire de la Maison-Blanche ne semble même pas vouloir préserver les apparences.

Quelles sont les perspectives d’un opposant à Donald Trump ? Toutes ses communications, et donc toute sa vie privée, peuvent se retourner contre lui en un instant. Un mot de travers dans un mail ? Une blague au téléphone ? Tout ce que vous avez dit, direz, avez écrit ou écrirez pourra vraiment être retenu contre vous. Il suffit de demander aux opposants de Kadhafi victimes des technologies déployées par la France et Amesys, ils savent que les réseaux peuvent donner des leviers aux services de renseignement pour parvenir à leurs fins.

Imaginons un instant un homme politique disposant de ces outils et qui voudrait s’affranchir des contre-pouvoirs démocratiques. Il lui suffit d’aller piocher un fait qui peut servir de levier contre chaque député, sénateur qui s’oppose à ses projets.

Un député dont le fils a acheté un produit interdit via Internet, un sénateur qui a une liaison extra-conjugale, un homme politique qui a accepté de l’argent contre un service, tel autre qui se plaint de ne pas être récompensé à sa juste mesure par tel ou tel poste ? Tout cela se « lit » dans les informations circulant sur les réseaux informatiques et téléphoniques.

Gouvernement, députés, sénateurs, il est encore temps…

Il est temps, gouvernement, députés, sénateurs, de prendre conscience que depuis 2006, vous avez joué aux apprentis sorciers. Vous avez installé des technologies qui permettent à un gouvernement de tirer un trait total sur toute idée de vie privée. La plupart du temps au nom de la lutte contre le terrorisme alors qu’il a été prouvé combien cela est faux, une excuse, une invention.

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Mais surtout, il est temps de comprendre que vous vous êtes tirés une balle dans le pied. Ministres qui faites la promotion de ces outils, le prochain Trump français les utilisera contre vous. Députés, sénateurs, le gouvernement du prochain Trump français vous réduira au silence avec ces outils dont vous avez approuvé la mise en place. Vous vous êtes tirés une balle dans le pied.

Il n’est jamais vraiment trop tard pour reconnaître une erreur afin de la corriger, si l’on en a encore les moyens. Il est donc encore temps de mettre un terme au déploiement de ces outils de surveillance massive. Il est encore temps de les démanteler avant que vos opposants politiques les plus dingues ne mettent la main dessus et vous écrasent avec.

Si seulement l’élection de Donald Trump pouvait au moins servir à cette prise de conscience…

La trumpisation du monde : un concept d’avenir ?

jeudi 10 novembre 2016 à 17:48

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Le grand déchaînement populaire « anti-élites » a débuté. Sur les réseaux sociaux, puisqu’il n’y a pas vraiment d’autre endroit où les gens censés former le « peuple » peuvent s’exprimer. Ah, si ils peuvent le faire aussi dans les urnes, comme au siècle dernier…

Un siècle où la réalité du monde était décrite par une toute petite élite : celle des journalistes. Et commentée par eux. Quasi exclusivement. Ce déchaînement populaire « anti-élites » atteint donc son paroxysme avec l’élection de Donald, le fils-à-papa milliardaire spécialiste de la téléréalité et de la fornication plus ou moins tarifée et grand pourfendeur de journalistes. Oui, les journalistes, cette engeance détestable qui ne « voit rien venir », se permet toutes les bassesses, particulièrement celle de « soutenir la classe dominante mondialisée », etc, etc…

Si ces affirmations peuvent trouver un écho aussi fort c’est bien qu’elles ne sont pas entièrement fausses, diront les plus fins observateurs de la vie des « grandes démocraties ». Oui, mais tout n’est pas aussi simple. Ce serait trop facile, trop binaire de trouver le coupable idéal à l’emballement d’une population pour une baudruche raciste et sexiste bourrée de dollars générés par des algorithmes boursiers. Comme si les médias, les journalistes et les sondeurs étaient un bloc, avec une volonté collective et doué d’un aveuglement partisan parfaitement partagé.

Quelques chiffres…

En 2016, les gens passent un temps infini sur Facebook. Il y a désormais 1 milliard 700 millions de comptes Facebook sur la planète, dont un peu plus de 1 milliard de comptes actifs. Aux Etats-Unis, Facebook compte 160 millions d’utilisateurs, pour une population totale de 320 millions d’individus. Il y a 54,2% des électeurs qui se sont exprimés dans les urnes.

Une fois ces quelques repères chiffrés donnés, et avant de rentrer dans le fond du sujet, un dernier élément semble important à donner. Ce chiffre est celui de la population sans emploi. Attention, pas celui du chômage, qui représente le nombre d’individus en âge de travailler et inscrits dans l’équivalent des pôle-emploi américains. Non, ce chiffre de la population sans emploi est celui des « Américains en âge de travailler et qui… ne travaillent pas. Il est de 94,6 millions de personnes.

Ce qui donne la citation suivante, d’un site spécialisé dans la bourse, et qui n’est donc pas particulièrement altermondialistes ou de gauche radicale :

« Selon l’administration Obama, il y a actuellement 7,915 millions d’Américains qui sont « officiellement au chômage » et 94,610 millions d’Américains en âge de travailler qui sont « en dehors de la population active »(sans emploi). Cela nous donne le total énorme de 102,525 millions d’Américains en âge de travailler et qui sont sans emploi actuellement. »

102,525 millions d’Américains en âge de travailler sont sans emploi, et n’ont donc pas de travail.

102 millions.
La population des américains actifs, en âge de travailler (entre 15 et 64 ans selon l’OCDE) est de 66,3% des 323 millions d’habitants des Etats-Unis, soit : 214 millions de personnes.
Il y a donc aujourd’hui, aux Etats-Unis près de 50% de la population en âge de travailler qui est sans emploi. Ce qu’il se passe en réalité aux Etats-Unis, depuis 2008, est la plus grande crise économique et sociale jamais vécue par ce pays.

Une campagne très peu politique

Revenons à Facebook, aux journalistes, aux médias et à l’élection qui vient de se dérouler dans un pays où la moitié des habitants pouvant travailler n’y arrivent pas. Ce pays est le plus « riche » de la planète, avec le plus haut revenu par habitant (mais c’est une moyenne statistique), il a les moyens militaires les plus importants, et a pris le dessus technologiquement sur le reste du monde grâce à des entreprises Internet devenues des monopoles de fait à l’échelle globale, ou presque (La Chine et la Russie ne sont pas vraiment touchés).

Dans ce pays, les États-Unis d’Amérique, les gens sont aussi les plus gros consommateurs de médias du monde. Le nombre d’heures de visionnage de la télévision et d’utilisation des réseaux sociaux aux Etats-Unis est colossal. Un Américain passe plusieurs années devant les écrans au cours de sa vie (une année complète de vie pour la seule télévision).

Les grands journaux de la presse, qui ont tous basculé sur Internet, ont aussi de très fortes audiences. Tous ces constats mènent à un questionnement : comment Donald Trump a-t-il pu se hisser à la plus haute fonction, alors que sa campagne a été un torrent d’ordures, ses déclarations très souvent contradictoires, son programme politique totalement fumeux et inquiétant ?

La réponse se trouve en partie dans les chiffres cités plus haut ainsi que dans le phénomène de perception des réalités via la consommation massive des médias cités eux aussi plus haut. D’un côté, les médias télévisuels populistes tels Fox News — la chaîne la plus regardée aux Etats-Unis — qui ont offert un spectacle permanent au clown orange devenu président, et de l’autre, les réseaux sociaux dont Facebook, qui ont accentué une perception déjà présente des différents candidats ainsi que des théories les caractérisant.

Les candidats à la présidentielle américaine ne se sont pas beaucoup battus sur des programmes établis, des visions politiques, des choix de société, préférant pratiquer des attaques personnelles menant à des foires d’empoigne proches des séquences des pires téléréalités. Le relais médiatique des ces combats de catch a fonctionné à plein, mais la population des 160 millions d’abonnés Facebook a continué le match en ligne. Beaucoup plus que ce que les journalistes ou les sondeurs ne l’ont perçu. Et cette caisse de résonance en vase clos, prise dans l’écosystème d’une entreprise privée administrée par un jeune loup de Harvard prêt à tout pour maximiser ses profits a démultiplié de nombreux phénomènes.

La perception du monde dans un bocal algorithmique californien

Facebook est un système de publication en ligne fermé entre utilisateurs. Les posts se succèdent, avec leur lot d’appréciations « émotionnelles », de partages et repartages. Facebook est devenu une entrée unique d’Internet pour un nombre grandissant d’utilisateurs, mais aussi une source quasi unique d’information. Au point qu’une étude récente indique que 44% des Américains s’informent avant tout par Facebook. Ce qui ne veut pas dire qu’ils échappent aux médias, puisque des extraits de la télévision y sont publiés et partagés, commentés, etc…

Où est le problème ? Le problème est celui de l’enfermement informationnel dans une bulle numérique influencée par des algorithmes. Les propositions des algorithmes de nouveaux comptes amis, de newsfeed, sont effectuées par ces programmes qui analysent les intérêts des facebookers. Leur but ? Proposer toujours plus de contenus ou d’utilisateurs reliés à leurs centres d’intérêt. Si vous vous intéressez à Trump, à des théories bizarres, les algorithmes vous serviront de plus en plus de Trump, d’adeptes de Trump et de contenus sur des théories bizarre. Le bocal algorithmique des « internautes facebookés » fonctionne en circuit fermé. Il effectue un travail d’amplification et conforte chaque utilisateur dans son propre circuit de pensée, de vision du monde. Il fait tourner les petits poissons rouges en ligne les uns avec les autres. Il les nourrit toujours avec les mêmes aliments.

Ce qu’il s’est passé eux Etats-Unis, cette « trumpisation » des esprits et de la vie médiatique qui a mené à l’élection du businessman orange est une nouveauté. Ce moment de société a échappé à presque tous les observateurs de l’élection. Il indique une nouvelle donne, à la fois très inquiétante, et dans le même temps pleine d’espoir pour tous ceux qui rêvent de renverser la domination des élites en place depuis des décennies. En mettant au pouvoir un milliardaire véreux et incontrôlable à la place d’une politicienne véreuse et belliqueuse.

Il n’ y a plus de cadre, tout est permis et les vaches ne sont plus gardées

La trumpisation du monde est la possibilité pour les prétendants aux plus hautes fonctions politiques dans le cadre des campagnes électorales nationales de casser tous les codes établis. Mentir, tronquer les chiffres, dire tout et son inverse, passer outre la décence la plus élémentaire est devenu, avec Trump, un gage de victoire politique potentielle.

Ces méthodes permettent, via les réseaux sociaux d’amplifier le discours, toucher les esprits avec une force inattendue jusqu’alors. Mais surtout, avec la garantie que les affirmations mensongères, les exagérations, même si elles sont contredites ailleurs par des journalistes, des spécialistes, ne viendront pas toucher les poissons rouges dans leurs bocaux. Seules d’autres exagérations, mensonges viendront compléter les affirmations du candidat dans les sphères Facebook pilotées par les algorithmes. Et puis les journalistes étant considérés comme « corrompus et à la solde de » par une grande majorité de poissons rouges facebookés, leur voix devient inaudible.

Les dernières cartouches du vieux monde cherchant à maîtriser la sphère sociale et politique sont donc un peu pathétiques. Les sondages électifs essayent par exemple de démontrer que ce seraient les « classes moyennes plutôt aisées » qui auraient voté pour Trump. C’est absolument faux, non pas du point de vue factuel de la sociologie électorale, mais du point de vue de la réalité socio-économique américaine. Parler d’une classe moyenne plutôt aisée est aujourd’hui une vaste plaisanterie. La classe moyenne aisée ne représente plus qu’une part congrue de la population. Rappelons-nous les 102 millions de personnes n’ayant pas accès à un travail. Les classes moyennes qui gagnent moins de 10$ de l’heure mais cumulent les activités professionnelles, pour payer des crédits immobiliers très élevés et qui n’arrivent pas à boucler leur budget nourriture ou acheter des vêtement neufs à leurs enfants. Tout en achetant à crédit des smartphones à 700€ à leur ado de 13 ans pour Noël…

Cette tentative de mettre sous cloche un vote « populiste », en partie réactionnaire ou basé sur un sentiment de déclassement et d’abandon économique — ou encore de rejet de la candidate Clinton, amie de Wall street — est très dangereux. Établir que les gens ont mal voté, ou qu’il seraient confinés dans une catégorie bien établie est un déni de réalité. Une réalité qui est en train de prendre le dessus en France, malgré toutes les pseudos analyses biaisées sur le phénomène en cours au « pays des lumières » (et de la loi renseignement). La réalité, la plus crûe, est qu’une partie grandissante de la population américaine n’en peut plus, et est prête à tout dans son vote pour essayer autre chose que ceux qui détruisent leur confort et leur way of life : les Hillary Clinton et autres représentants de la classe politique dominante.

La France : ambition intime, 31 millions de comptes Facebook actifs, et la précarité

Le monde occidental vit un processus ultra-rapide de transformation globale. Les principaux facteurs de cette transformation en cours sont la financiarisation de l’économie et l’automatisation algorithmique des activités humaines. Face à ce rouleau compresseur qui se répand à tous les niveaux des sociétés, les individus sont désarmés. Avec des hommes et femmes politiques qui continuent de laisser croire qu’ils peuvent — sans prendre en compte ces deux facteurs à réguler — empêcher l’écroulement en cours. Un écroulement social, des outils de travail, des échanges humains, de l’environnement, et surtout… de la capacité collective à faire du sens.

Face à ces constats, le plus souvent ressentis plutôt qu’analysés, en France, les élites honnies par la population, proposent de venir bêler dans des émissions de télévision abêtissantes, ou pratiquer des débats ineptes, quand la population pratique le repli vers l’arène populaire numérique : Facebook.

Il y a bien entendu de nombreux autres facteurs liés à ces phénomènes d’écroulement, mais qui dans la plupart des cas, sont issus des deux principaux : finance et « algorithmisation » du monde.

Les révélations de la surveillance mondiale par la NSA d’Edward Snowden ne sont qu’une partie immergée de l’iceberg algorithmique. La détresse populaire face à ce nouveau monde financiarisé et entièrement basé sur des processus numériques est réelle et se traduit concrètement par une précarisation de plus en plus grande des espaces sociaux physiques, du travail, de la reconnaissance des compétences-métiers, des liens émotionnels, etc…

La corruption des personnels politiques, leur capacité au mensonge, au reniement sont connues de façon massive grâce aux réseaux sociaux. La grogne populaire à l’encontre de ceux qui ont le pouvoir et sont censés « améliorer la vie du plus grand nombre » est donc devenue un sport national. Comme à l’encontre de ceux censés garantir une information la plus proche de la réalité : les journalistes. Le problème pour ces derniers est qu’ils ne peuvent s’empêcher en permanence — pour une grande partie d’entre eux — de venir cautionner les choix des personnels politiques honnies par la population…

Il est donc clair que publier du décodage des posts facebook des fans du FN sur le quotidien Le Monde est une entreprise honorable. Sauf que ces décodages ne seront lus et pris en compte seulement par ceux qui déjà savent que les affirmations du FN sur les migrants sont fausses. Ceux qui relayent et soutiennent ces posts ne voient eux, par contre, passer que de nouveaux posts affirmant des « vérités qu’on nous cache » (anti-migrants) et jamais les articles de détox.

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La sphère numérique auto-alimentée des plateformes californiennes de partages de la grogne populaire anti-élites s’amplifie. La trumpisation du monde a certainement de l’avenir. A moins qu’une alternative politique progressiste vraiment crédible et audible n’apparaisse ?

Laissons l’auteur douter.

Fichier monstre : le sens des priorités

mercredi 9 novembre 2016 à 20:19

safariPublié en loucedé pendant le week-end de la Toussaint, le « décret Halloween » serait peut-être passé inaperçu sans l’étroite et singulière relation qu’entretient Marc Rees, rédacteur en chef de NextInpact, avec le Journal Officiel. Ce décret instaure la création d’une base de données centralisée, le fichier « TES », pour « Titres Électroniques Sécurisés ». C’est une généralisation du système mis en place pour l’obtention de passeports biométriques, qui avait donné lieu à une saisine du Conseil d’État par la Ligue des Droits de l’Homme. Le Conseil d’État avait alors validé la biométrisation des passeports, ainsi que le stockage des informations dans une base de données centralisée.

Outre la simplification des démarches administratives, l’objectif affiché par le gouvernement est de lutter contre la fraude documentaire, c’est à dire contre le bidouillage de passeports ou de cartes d’identité. Cette finalité peut sembler légitime à première vue, bien qu’elle n’aille en réalité pas de soi, la généralisation de l’encartement étatique étant en réalité relativement récente. Des titres d’identité infalsifiables ne sont peut-être pas si souhaitables que cela, comme le rappelait Jean-Marc Manach quand il citait Raymond Forni), le papa de la CNIL. Enfin, comme l’indique Mediapart qui cite les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, la fraude documentaire ne semble pas être un problème très préoccupant.

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Des empreintes digitales numériques

Quoiqu’il en soit, ce large programme de fichage n’est évidemment pas sans déclencher force couinements forts justifiés, dans la presse évidemment, mais aussi à la CNIL, au Conseil National du Numérique, chez certains juristes et quelques rares personnalités politiques ou, plus généralement, chez nombre de nos concitoyens. Il s’agit tout de même de données personnelles et biométriques concernant, à moyen terme, la quasi-totalité de la population. C’est sans doute la raison pour laquelle, prétendront les mauvais esprits, le Gouvernement n’était pas très enclin à faire la publicité de son inoffensif fichier. C’est raté.

Le décret prévoit que soient conservées dans cette base de données les noms, prénoms, date et lieu de naissance, le domicile, le sexe, des informations relatives au titre d’identité lui-même ou à la filiation de son titulaire, ainsi que sa taille, la couleur de ses yeux, bref, toutes les informations qu’il trouvera sur sa CNI ou son passeport. Côté biométrie, ce sont la photographie du visage et les images des empreintes digitales des deux index qui seront enregistrées.

M. Anderson enregistre ses empreintes digitales

M. Anderson enregistre ses empreintes digitales

D’une pierre, trois coups

Pour contrôler un « titre électronique sécurisé », il faut pouvoir vérifier qui a placé les données sur la puce électronique, que l’autorité qui a émis le titre soit bien légitime. Ensuite, il faut s’assurer que les données n’ont pas été altérées, modifiées par un tiers et, enfin, que la personne qui a le titre en main en est le titulaire.

Pour atteindre le dernier objectif, l’inspection de la photographie du visage a le mérite de ne nécessiter qu’un appareillage minimum pour effectuer le contrôle, à savoir un oeil (ou mieux, deux). Il s’agit en revanche d’une méthode très peu fiable. La comparaison des empreintes digitales, quoiqu’elle nécessite un équipement particulier et qu’elle ne soit pas non plus fiable à 100 %, reste néanmoins la technique la plus répandue. La numérisation des empreintes digitales consiste à extraire des caractéristiques depuis une image capturée. Il existe plusieurs manières de traiter ces images, la plus courante d’entre elles étant l’extraction des « minuties », les singularités présentes dans le dessin des empreintes digitales : terminaisons de lignes, bifurcations, etc. L’ensemble des minuties extraites forme un gabarit, qui pourra être utilisé pour vérifier l’identité du possesseur du titre. Ce gabarit biométrique — les minuties choisies — peut être encodé numériquement pour être stockée sur une puce électronique.

Extraction des minuties

Extraction de minuties

Pour vérifier que le gabarit présent sur la puce y a été placé par une autorité légitime et qu’il n’a pas été altéré, rien de plus simple, nous pouvons faire appel à la cryptographie asymétrique. Il s’agit d’une méthode de chiffrement basée sur des paires de clés, distinctes mais liées l’une à l’autre mathématiquement. Si l’on chiffre des données avec l’une des clés, on pourra les déchiffrer avec la seconde, et réciproquement. L’une des deux clés est gardée secrète, n’est pas diffusée par son propriétaire — on parle alors de la clé privée, la seconde peut au contraire être transmise librement — il s’agit de la clé publique.

L’autorité délivrant les titres d’identité peut ainsi chiffrer le gabarit biométrique (les minuties sous forme numérique) à l’aide de sa clé privée, avant de les insérer dans la puce électronique du passeport ou de la CNI au moment de la fabrication. Les équipements de vérification pourront ensuite déchiffrer les données du gabarit grâce à la clé publique. Dans ce modèle, l’autorité de délivrance étant la seule à disposer de la clé privée, on fait d’une pierre trois coups : l’authenticité et l’intégrité des données présentes sur la puce sont vérifiées en même temps que l’identité du porteur. Ce qui est valable lors d’un contrôle l’est tout autant lors du renouvellement du titre d’identité, puisqu’il suffit dans ce dernier cas que la personne se présente munie du document périmé… et de ses doigts.

C’est d’ailleurs très exactement le fonctionnement du système Parafe, comme le rappelle François Pellegrini, informaticien et commissaire de la CNIL. Avec ce type d’architectures, nul besoin de conserver les gabarits biométriques dans une base de données au delà de la fabrication du titre initial. Pas plus que, d’ailleurs, elle ne nécessite la conservation de la photographie du visage. Stocker moins de données constitue un net gain en matière de sécurité informatique puisque, par définition, on n’a pas à protéger ce que l’on ne possède pas. Or les données biométriques sont, notamment en ce qui concerne les empreintes digitales ou de l’iris, largement immuables. Lorsqu’un mot de passe fuite d’une base de données, on peut toujours le changer. La compromission d’un gabarit biométrique est, elle, définitive.

L’inconséquent décret

Si l’on décide toutefois de conserver ce type d’informations, il existe différents moyens qui permettent de réduire drastiquement la portée d’un piratage ou d’une fuite de données, voire de les empêcher totalement. Tout d’abord et comme nous l’avons vu précédemment, l’authentification biométrique ne nécessite aucunement de détenir les images sources des empreintes digitales ayant permis l’extraction des gabarits biométriques. Néanmoins, les gabarits eux-mêmes restent des éléments critiques, différents travaux de recherche ayant montré qu’il était possible de les utiliser pour reconstruire l’image originale des empreintes digitales.

La communauté scientifique a donc développé un ensemble d’approches permettant d’authentifier les empreintes digitales d’une personne sans avoir à conserver de gabarits biométriques. Certaines tirent partie de techniques cryptographiques, comme le « fuzzy vault scheme » ou le chiffrement homomorphique, d’autres se basent par exemple sur la combinaison de gabarits issus de deux doigts différents.

Ainsi, des solutions existent qui autorisent la finalité d’authentification sans que l’enregistrement des gabarits biométriques, et encore moins celui des images des empreintes digitales, ne soient requis. Que prévoit au contraire le décret du gouvernement, dont on peut imaginer qu’il correspond à la réalité technique de l’actuel fichier des passeports, qui préfigure le nouveau fichier augmenté ? Le stockage de « l’image numérisée du visage et celle des empreintes digitales » pendant 15 ou 20 ans. Rien de moins.

Impossible, l’identification ?

Pour apaiser les craintes de ses détracteurs, le gouvernement, par la voix (blanche) du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, assure que ce système d’information ne prévoit que l’authentification, pas l’identification. La première permet, nous l’avons vu, de vérifier l’identité d’une personne. La seconde est beaucoup plus dangereuse potentiellement. Elle vise en effet à déterminer l’identité d’une personne à partir d’une information, par exemple une empreinte digitale négligemment abandonnée sur un verre, une poignée de porte ou une carte périmée du Parti Socialiste.

Que le système d’information TES n’autorise pas les agents du ministère de l’Intérieur à lancer des identifications est peut-être vrai. Mais techniquement, garantir qu’il est totalement impossible qu’une telle possibilité soit ajoutée ultérieurement est un mensonge. Fonctionnellement, on peut voir une identification comme des tentatives d’authentification répétées jusqu’à ce que l’une d’entre elles réussisse. Si un système est en mesure d’authentifier, il sera capable d’identifier.

Pour se prémunir contre les dérives ou les abus, l’augmentation des finalités ou les fuites, il convient de collecter le moins possible de données, de les conserver le moins longtemps possible, et d’éviter leur centralisation. Le but du gouvernement, c’est de réduire les coûts.

Chacun son truc, après tout.