PROJET AUTOBLOG


Reflets

Site original : Reflets

⇐ retour index

Qosmos renvoyé à son DPI par la 17ème chambre du TGI de Paris

mercredi 22 mars 2017 à 12:08

[Full disclosure : l’auteur de cet article était cité comme témoin par la défense dans ce procès] Dans son jugement du 26 janvier, la chambre spécialisée dans les délits de presse a savamment assaisonné Qosmos qui poursuivait pour diffamation James Dunne, un de ses anciens salariés, et une journaliste de France 24. Alexandra Renard avait signé un reportage intitulé « Des logiciels français vendus aux dictateurs ? » dans lequel était interviewé James Dunne.

Qosmos estimait être diffamée par les propos suivants :

« Il travaillait pour QOSMOS, une société française d’informatique qui a créé une technologie hyper-perfectionnée, une technologie capable de surveiller de d’analyser avec précision des nations entières via Internet, le tout en temps réel. C’est ce bijou de surveillance massive qu’a vendu leur partenaire français AMESYS au colonel Kadhafi, une arme numérique idéale pour traquer les opposants du régime ».

« A l’époque je ne savais pas qu’on avait livré à la Libye, je ne savais pas qu’on était en train de livrer à la Syrie ».

« Ce que je souhaite, c’est qu’on ne puisse plus vendre impunément de tels logiciels, de telles technologies à des dictatures tout simplement ».

Il n’est pas inintéressant de noter que Qosmos n’a pas poursuivi les dizaines de media qui ont relayé le même type d’analyses. L’auteur des propos, James Dunne, était sans doute l’homme à faire taire, lui qui avait alerté la presse par ses écrits sur son blog à propos des activités peu recommandables, sur un plan éthique notamment, de Qosmos et d’Amesys.

La 17ème chambre a donc jugé que ces propos n’étaient pas diffamatoires. Mais c’est l’argumentation de la cour qui est intéressante. Elle s’est appuyée sur les arguments habituels de Qosmos (ou d’Amesys d’ailleurs) pour débouter la société.

La Cour souligne ainsi :

 » […] force est de constater :

Qu’il n’est pas imputé à la société la commission d’une infraction pénale, le fait que des opposants soient arrêtés étant à l’évidence en lien avec l’action des dirigeants des États mis en cause et ne résultant pas d’une action directe de la société QOSMOS, dont le rôle se limite à avoir fourni une technologie ».

Sur ce point, la cour utilise l’argument récurrent de Qosmos : nous vendons des briques technologies, pas à des États mais à des intégrateurs, l’utilisation qui en est faite nous n’en sommes pas responsables…

« Que le fait de fournir une technologie, certes sensible, à des régimes autoritaires ne contrevenait en outre à aucune règle légale, […] à tout le moins jusqu’à la fin de l’année 2014 »

Le PDG de Qosmos, Thibaut Bechetoille a toujours dit que le commerce du DPI n’était pas assez encadré, y compris dans la mémorable interview qu’il avait accordée en 2011 à des contributeurs de Reflets sur Techtoc.tv :

Dans cette interview, Thibaut Bechetoille explique : « Je crois que l’utilisation de la technologie de DPI doit être…. Doit être encadrée bien sûr ».

Devant les juges du Pôle Crimes contre l’humanité du Tribunal de Grande Instance de Paris, il estimait que « Qosmos milite pour une réglementation internationale concernant la vente des produits de surveillance électronique ».

« Que livrer du matériel technologique sensible à des régimes autoritaires ne peut non plus être considéré comme un comportement moralement condamnable, le commerce international justifiant de travailler avec nombre d’États, dont certains non démocratiques ; qu’il n’en résulte pas un manquement évident à la morale commune, sauf à considérer des pans entiers de l’industrie française, notamment l’industrie d’armement ou le secteur des hautes technologies, comme étant objectivement et par nature condamnables.

Ainsi, s’il est fait état, dans les propos en voix off et dans l’interview, d’un fait précis pouvant faire l’objet d’un débat probatoire, il n’en résulte pas, pour autant, une atteinte à l’honneur et à la considération de la société QOSMOS »

Les propos poursuivis ne représentent donc pas un caractère diffamatoire au sens du droit de la presse.

Ainsi, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens soulevés, les prévenus seront renvoyés des fins de la poursuite.

La cour met ici sur le même plan les vendeurs de DPI et les vendeurs d’armes en disant qu’il arrive que ce type d’industrie vende à des pays peu démocratiques. Un euphémisme… Il n’est donc pas diffamatoire de le dire.

Qosmos n’a pas fait appel de cette décision. De fait, elle aurait dû, le cas échéant, se battre contre ses propres arguments, ce qui aurait été assez cocasse.

Ce procès est le troisième que Qosmos perd contre James Dunne (4 procédures). Les deux premiers étant liés à son départ de l’entreprise. Thibaut Bechetoille avait une relation très particulière avec son ancien employé devenu lanceur d’alerte. Dans un café où il recevait des journalistes avec une agence spécialisée dans la communication de crise (Clai), il s’était emporté, criant que James Dune était fou, qu’il fallait l’enfermer. En 2013, réagissant à un article de Mediapart, Thibaut Bechetoille indiquait :

« Nous restons confiants dans l’issue de la procédure, tant les faits qui nous sont reprochés par cet ancien salarié sont faux et calomnieux. Nous rappelons que nous avons porté plainte pour diffamation contre cet ancien salarié. »

Des faits faux et calomnieux… Ce n’est pas du tout l’avis de la 17ème chambre. On imagine mal Thibaut Bechetoille présenter des excuses à James Dunne. Mais on peut s’interroger sur deux points.

Le premier concerne les particuliers qui sont attaqués par des entreprises. Ils doivent faire face avec des moyens très faibles au rouleau compresseur du service juridique de l’entreprise qui les attaque avec, généralement, de gros moyens financiers. Le temps et l’argent jouent pour les entreprises. Le combat est inégal. Avis aux candidats à la présidentielle…

Le second concerne la presse. Elle a rarement le réflexe de consacrer de la place au résultat final. Et c’est fort dommage. Car dans le cas de James Dunne, par exemple, le particulier attaqué est accusé de tous les maux et cela laisse des traces, dans quantité d’articles. James Dunne a donc été accusé par Qosmos d’être un diffamateur pendant des années. Or in fine, il se trouve qu’il ne l’est pas. Doit-on en conclure , au contraire, que ce sont Thibaut Bechetoille et Qosmos qui se sont rendus coupables de diffamation en affirmant aux journalistes, de manière répétée, que James Dunne était un diffamateur ?

Chamboule-Touite : menteur ou escroc ?

vendredi 17 mars 2017 à 15:41

Premiers tests de notre formidable outil, le Chamboule-Touite, qui permet de mesurer la « popularité » des mentions sur Twitter d’un candidat à la présidentielle avec un mot-clé ou un hashtag. Par un hasard tout à fait fortuitement aléatoire, nous choisissons le hashtag — pardon, le mot-croisillon — « #menteur ». Sans surprise, twittas et twittos font une association d’idées avec un certain François Fillon.

Apostrophé à 49 reprises, le vertueux châtelain met tout le monde d’accord. Il caracole largement en tête du Chamboule-Touite, avec un score de 96 %, dopé par le PenelopeGate. Loin derrière, Benoit Hamon et Emmanuel Macron font pâle figure et se partagent à égalité les 4% restants.

Nous bougeons les potards et lançons un second test avec le mot-croisillon « #escroc ». Nous nous attendions à retrouver encore une fois le bon François en pole position.

Ô surprise, si l’ancien premier ministre est le plus mentionné (50 tweets), au nombre de retweets et de favoris, c’est Emmanuel Macron qui termine au finish. Ses 31 mentions lui permettent de réaliser le plus gros score, avec 93% et près de 900 retweets.

À gauche comme à droite (surtout très à droite), on lui reproche son passé de banquier et d’énarque, ses orientations libérales, d’être le fils spirituel de François Hollande ou le « candidat du système » (oui, c’est très original). Une chose est sûre, le gendre idéal inquiète ses opposants.

Le Chamboule-Touite® est la dernière innovation issue du département Research & Gonzo Development de Reflets.info. Il tire parti des Big Data®, du Data Mining®, du Machine Learning®, et de l’Augmented Journalism®. Propulsé par un système de traitement de données unique au monde (brevet en cours de dépôt), le SHA-1® (Statistical Helicobits Analysis – Mark One), le Chamboule-Touite® permet à Reflets.info de produire les analyses politiques digitalisées les plus pointues sur l’élection présidentielle 2017.

Comment sont calculés les scores ?

Pour chaque candidat, l’API de recherche de Twitter est interrogée, la recherche portant sur le terme ou hashtag avec mention du candidat (maximum 100 tweets les plus pertinents par candidat, le nombre de tweets retournés est affiché dans la carte). Les décomptes de retweets et de favoris pour chaque candidat sont additionnés et comparés à la valeur pour l’ensemble des candidats pour calculer les pourcentages.

La démocratie d’influence et du copinage : nudge me tender

vendredi 17 mars 2017 à 13:25

Cette vidéo de 26 minutes — très pédagogique et amusante à la fois — est idéale pour comprendre de nombreuses choses en lien avec : l’opinion, l’information, les sondages, les emballements populaires électoraux, le populisme, la droite, la gauche, le lobbying… et finalement, le fonctionnement de la démocratie française actuelle.

Bon visionnage :

Et alors ? Je suis chez moi !

jeudi 16 mars 2017 à 18:23

Nous publions ci-dessous une lettre signée François F. adressé à la rédaction de Reflets.

Chères journalopes anarcho-gauchistes,

Je lis ici ou là que je porterais des costumes à plusieurs milliers d’euros offerts par un ami. Et alors ? Je porte ce que je veux chez moi ! Je vous demande moi pourquoi vous portez vos pulls élimés si typiques des journalistes ? Je demande aux femmes dans mes meetings si elles n’ont pas honte de leurs jupes longues, de leurs chemisiers ? Je lis ailleurs que mes enfants m’auraient reversé une partie de leurs indemnités lorsqu’ils étaient salariés comme assistants parlementaires. Et alors ? Mes enfants font ce qu’ils veulent de leur argent et moi aussi. Si je veux profiter de ces sommes pour retaper ma petite masure à 750.000 euros, qu’est-ce que cela peut bien vous faire ? Je suis chez moi, non ?

J’entends que je ne respecterais pas ma propre parole parce que j’aurais dit que je ne me présenterais pas si j’étais mis en examen… Et alors ? Quand bien même j’aurais dit ça, ce qui n’est absolument pas prouvé, à part dans les fake-news propagées par la gauchiasse qui a mené notre pays au chaos, je fais ce que je veux et je dis ce que je veux devant mes micros. Je suis encore chez moi, non ? Ce sont MES micros. On paye bien assez cher nos salles de meeting et leur sonorisation !

A propos de gauchiasse… Notez qu’en effet, le pays est au bord de l’abîme. Le chaos, je vous dis. Et vous, les journalopes crypto-communistes, vous laissez croire que non, que tout va à peu près bien, que l’on peut s’en sortir. Mais pas du tout. Le peuple a le droit de savoir. Savoir qu’on est au bord de l’apocalypse. Je ne vois pas pourquoi il saurait ce que je fais chez moi, avec mon argent, mes costumes. C’est ma vie privée. Mais il doit savoir que c’est bientôt la chute. Oui, j’avais prévenu quand j’étais aux commandes, le pays est en faillite et ça ne s’est pas amélioré depuis, sachez-le. Je sais, j’ai un peu merdé sur la dette pendant que je dirigeais la France, mais c’est une erreur de jeunesse, promis, je ne le ferai plus.

Dette au sens de Maastricht des administrations publiques en point de PIB (*)

Et pour ça je compte bien filer un choc de compétitivité à grands coups d’austérité. Il faut ce qu’il faut. Certains vont souffrir ? Et alors ? Je suis chez moi, non ? C’est mon pays, oui ou non ? Je fais ce que je veux. Et croyez moi, ce choc, c’est une méthode éprouvée.

J’entends que des gens qui font profession de commenter les propos des politiques disent que ma douce et tendre Penelope n’aurait même pas été au courant qu’elle était salariée comme assistante parlementaire. Et alors ? C’est ma femme, oui ou non ? Je fais donc ce que je veux avec son compte en banque.  Notez que c’est beau de recevoir un salaire pour de simples commentaires, les journalopes ont un beau métier… Moi aussi je peux commenter tout et n’importe quoi, on ne me paye pas pour autant pour ça.

Je lis que ce que l’on me reproche confisquerait la campagne. Que l’on ne pourrait plus parler du fond. C’est vrai. Et alors ? D’une part ceux qui me suivent sont des croyants. Si, si. Ils croient en moi. Les reproches que l’on me fait coulent sur eux comme l’eau sur les plumes d’un canard et c’est un chasseur qui vous parle. Oui, j’ai des vestes de chasse faites sur mesure. A la mesure d’un chasseur de canards musqués. D’autre part, si les journalopes ne me faisaient pas tous ces reproches, on pourrait parler d’autre chose. Notez que ça ne m’arrangerait pas mais pourquoi pas… Mon attachée de presse me souffle dans l’oreillette que ça fait partie de mon boulot de parler du fond, quitte à raconter n’importe quoi. M’en fous, tant que je suis payé, je fais ce que l’on me demande. Si tant est que ce n’est pas trop fatiguant.

Je m’étonne par ailleurs des cris d’orfraie : il parait que mon programme achèvera les plus démunis. Et alors ? Ils n’avaient qu’à gagner de l’argent ces cons-là. Est-ce que je suis démuni moi ? Non. Qu’est-ce qui les empêche de ne pas l’être ? Ils sont sans doute aussi fainéants que les journalopes de la gauchiasse qui passent leur temps à baver sur moi contre un salaire tout à fait confortable. Et puis, une fois encore, je serai chez moi à l’Elysée, oui ou non ? Je fais ce que je veux.

Ça ne vous plaît pas ?

Et alors ?

 

 

Société : pourquoi les « on est chez nous » ?

lundi 13 mars 2017 à 18:57
Illustration issue d’une recherche ayant pour mots-clés « Florian Philippot Winnie l’ourson ». Sont-ce les fameux envahisseurs étrangers dénoncés par le parti de Philippot, qui apparaissent sur cette photo ?

La question d’une montée des nationalismes, mâtinés de populisme xénophobe se pose de plus en plus en Europe, tout comme aux États-Unis d’Amérique et dans certains pays asiatiques. Ce phénomène se traduit par des votes très particuliers en faveur de personnages ou de partis politiques eux aussi bien particuliers. Tous ont en commun une même composante, si l’on se contente de cataloguer : l’extrême-droite. Malgré des divergences entre chaque pays — les cultures et l’histoire ne pouvant qu’être différentes — des constantes peuvent se dégager pour comprendre ce qu’est cette « extrême-droite » : rejet de l’étranger, volonté de repli sur soi, demande d’autorité, adhésion à une « culture » de la violence et du conflit, ostracisation des minorités, désignation de coupables pour expliquer les problèmes de la société, mise en accusation des élites corrompues.

Bien entendu, l’étiquette politique ne résume pas tout, loin de là, et peut même dans  certains cas créer de la confusion, voire renforcer les mentalités en question : « être d’extrême-droite » n’est pas si simple, et vouloir taxer  des mouvements politiques hétéroclites sous un même label n’est peut-être pas une bonne idée. D’ailleurs, plus ce label est utilisé par ses détracteurs, plus « l’extrême-droite » progresse. En revanche, comprendre qui sont les gens qui votent et développent les idées de ce mouvement devenu partiellement mondial peut être intéressant. Pour mieux les combattre, si l’on pense bien entendu que leurs idées et la société qu’ils veulent construire est dangereuse, d’une intolérable médiocrité humaine, et ne peut que nous mener à vivre un cauchemar collectif fait d’intolérance, d’égoïsme, de fermeture, d’ignorance et de destruction des quelques règles humanistes issues de l’après seconde guerre mondiale. Celles d’après le nazisme.

« On est chez nous »

Ce slogan du « On est chez nous », qui parsème le film « Chez nous » (montrant le fonctionnement d’un parti d’extrême droite français similaire au Front national), est très intéressant pour mieux comprendre la montée de cette « nouvelle extrême-droite » mondiale, dont Donald Trump, au fond, est le chef charismatique et la quintessence même. Ce slogan — « On est chez nous » — représente en quatre mots l’essence même des mentalités qui agitent les urnes et les esprits, il synthétise le malaise profond qui agite ces « croyants en une nouvelle politique » qui ferait table rase de l’ancienne et leur redonnerait un pouvoir, une valeur, un rôle qu’ils pensent avoir perdu depuis des décennies. Le ralliement est simple, compréhensible, franc : « On est chez nous ». Ce « Nous » impliquant un « Eux ». L’ennemi de la communauté — communauté de ceux qui sont sur leur territoire, depuis toujours.

« Nous sommes solidaires, entre nous, nous avons la même vision, et elle est faite d’une appartenance à quelque chose qui nous relie » , tout en laissant entendre implicitement que d’autres « tentent de s’emparer de ce qui nous appartient« . Les « On est chez nous » revendiquent politiquement le droit à discriminer tout ce qui n’est pas de « chez eux » : du terroir, de l’enracinement, de la tradition, de l’histoire commune.

L’idée centrale des « On est chez nous » est simple à comprendre, et c’est bien pour cela qu’elle porte et séduit de plus en plus. Elle pourrait se traduire encore autrement ainsi : « Nous sommes en guerre, contre des phénomènes et des individus qui détruisent notre identité, nous ont fait plonger dans un no man’s land sociétal insupportable. Si nous défaisons l’ennemi, nous retrouverons notre identité et recréeront un territoire perdu qui nous redonnera un sens collectif, un « sens commun », un socle de valeurs à partager, un projet. »

Droits de l’Homme en pointe… jusqu’à la mondialisation

Le socle commun des grandes démocraties, ces pays industriels post-impérialistes qui ont déclenché la révolution industrielle entre le 18ème et le 19ème siècle, a été, depuis le grand chamboulement d’après 39-45, la déclaration des Droits de l’Homme. L’organisation mondiale censée faire respecter la paix mondiale et empêcher une nouvelle guerre équivalente à celle déclenchée par les nazis, l’ONU, a été au centre de cette préoccupation des Droits de l’Homme.

Avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, n’importe quel pays pouvait faire subir ce qu’il ce qu’il voulait à n’importe quelle partie de sa population ou de populations colonisées, sans que personne ne s’en mêle ni ne s’en émeuve. On montrait des Africains dans des cages à l’exposition universelle, en France, par exemple. On tuait des milliers de maghrébins dans des territoires d’Afrique du Nord annexés par la force quand ils se rebellaient contre leur envahisseur.

Le choc du génocide, par l’internement et l’industrialisation du meurtre de masse de catégories de populations minoritaires (juifs, homosexuels, handicapés mentaux, tziganes) par le régime nazi, a forcé les grandes nations à un examen de conscience inédit. La décolonisation en est l’une des conséquences, la Charte Universelle des Droits de l’Homme en est une autre. Le monde capitaliste, industriel, post-impérialiste a semblé — durant une cinquantaine d’années — vouloir construire une politique mondiale « humaniste », cherchant à protéger les plus faibles, aider les opprimés, abolir les injustices. Avec de nombreux accrocs à ce « contrat moral » que l’ONU était censé faire respecter : guerre du Vietnam, coups d’états et mise en place de dictatures soutenues par les États-Unis en Amérique du Sud, essais nucléaires dans les colonies et ex-colonies françaises, torture de l’armée française en Algérie, répression des mouvements sociaux, soutiens militaires à des dictatures au moyen-orient, etc., etc.

Bien entendu, des avancées ont eu lieu grâce à la « politique mondiale des Droits de l’Homme » créée après-guerre. Les énoncer serait trop long, mais d’une manière générale, ces avancées ont toutes pour dénominateur commun des progrès sociaux, des droits nouveaux pour les plus « fragiles » ou les plus « faibles », une volonté de justice, « d’égalité », un refus de reproduire les anciens schémas basés sur une domination du plus fort sur le reste. Jusqu’à à la fin des années 90, cette idée de politique mondiale des Droits de l’Homme a été soutenue par les populations occidentales, avec des personnels politiques eux aussi plutôt engagés à la défendre. Mais la volonté d’une « pure politique de justice mondiale » n’est pas restée très longtemps l’unique préoccupation des grands décideurs de ce monde.

La mondialisation — des échanges via la financiarisation de l’économie et l’ouverture des marchés à la planète entière — a été instiguée et vendue comme le meilleur moyen de pouvoir aider les pays les plus pauvres, les ex-colonies en premier, leur permettre de pouvoir participer à la « grande fête des Droits de l’Homme ». Tout le monde allait pouvoir bénéficier de la richesse ainsi engendrée, et les Droits de l’Homme pourraient se réaliser vraiment, partout. Il n’en a rien été, et le problème crucial est que ceux qui ont défendu cette théorie ont parfaitement échoué : les Droits de l’Homme ont reculé, les injustices se sont creusées et la planète a été mise en coupe réglée par des puissances financières privées, d’une puissance jusque là inédite. C’est sur cette évidence que les penseurs des « On est chez nous » jouent à fond. Et remportent de plus en plus de victoire.

Bobos, droits de l’hommistes, gauchos, cocos et socialos : même combat

Si l’on pense que la société va mal, parce que plus rien ne semble fonctionner normalement, que les injustices explosent et que ceux censés l’améliorer sont des « vendus » qui pensent avant tout à profiter du vote des électeurs pour conserver une place enviable et servir les intérêts des puissances industrielles, de la finance, il est possible d’adhérer à la pensée du « On est chez nous ».

En effet, le moteur des « On est chez nous » est la haine de ceux qui se sont engraissés sur le dos du plus grand nombre, ont vendu le pays et ses intérêts à la mondialisation, pour faire court. Vendu à une forme de « droit de l’hommisme » favorisant l’arrivée d’étrangers seulement intéressés par nos avantages sociaux et venant imposer leur propre culture, forcément néfaste et incompatible avec la « nôtre ». Toute cette opération, selon les « On est chez nous », a été poussée par les bobos-socialos-cocos-droits-de-l’hommistes qui ont — par leur idéologie laxiste et dégoulinante de bons sentiments hypocrites — permis la ruine du pays, tant dans la permissivité économique, que sociale, éducative, migratoire. Tout en profitant, pour la partie socialo-bobo, des changements que cette mondialisation créait. Particulièrement en termes de progression économico-sociale.

Cette vision du monde, qui amalgame Droits de l’Homme, donc humanisme et progrès sociaux, avec mondialisation des échanges, perte de souveraineté, désindustrialisation et recul de puissance, est théorisée depuis plusieurs années par Marine Le Pen et son acolyte de Sciences-Po : Florian Philippot.

Généraliser la fête du cochon, une ambition politique à la portée du numéro 2 du parti des « On est chez nous » ? Un parti qui a compris qu’en promettant « du boudin pour tous », les choses iraient nettement mieux.

L’Europe libérale — au sens de la dérégulation économique et de la libre circulation des flux commerciaux et bancaires — est bien entendu une cible idéale pour les penseurs du « On est chez nous », qui n’ont pas beaucoup de mal à démontrer toute la perversité de cette Union Européenne qui écrase de sa toute-puissance bureaucratique toute possibilité d’une politique autre que celle qui s’impose par ses traités. Une toute puissance — particulièrement depuis la crise de 2008 et le TSCG de 2012 — qui va jusqu’à contrôler les budgets des états, indiquer et surveiller leurs réformes.

Ceux qui aimeraient défendre l’Union Européenne aujourd’hui ont beaucoup de mal, tout comme ceux qui voudraient défendre les bienfaits de la mondialisation : la catastrophe bancaire, financière, économique qui perdure depuis 2008 est le fruit de la grande dérégulation globale portée par les chantres de la mondialisation. L’Europe ne défend plus rien d’autre qu’une orthodoxie économique soufflée par les banques internationales et l’Allemagne, pour qui cette voie reste la plus favorable à son économie. Même si d’un point de vue social tout ça commence à pas mal se craqueler.

Les « gauchos » sont donc bien embarrassés, enfin ceux qui ont soutenu la mondialisation, l’Europe, et toutes ces choses censées à l’origine faire « un monde meilleur et plus ouvert, où la majorité y gagnerait ». Les « socialos » en tête, avec pour une bonne part d’entre eux la partie « bobos progressistes », riches et bien-portants défenseurs des immigrés, mais ayant racheté des quartiers entiers de Paris d’où ces mêmes immigrés ont été évacués.

Fantasme fascisant à l’épreuve d’une trahison envers les peuples

La réalité socio-politique actuelle — qu’elle soit française ou européenne, et partiellement mondiale — peut se résumer à un constat, plutôt sombre et inquiétant : les « On est chez nous » sont de plus en plus nombreux. Le « on a tout essayé » (chez les électeur potentiels des partis à base de « On est chez nous ») est aussi une phrase qui revient souvent, et elle résume très bien la situation. Celle de la trahison politique — débutée il y a 20 ans, pour simplifier. Trahison envers les peuples, à qui les élites au pouvoir ont promis des lendemains qui chantent en dérégulant toute l’économie mondiale et en permettant une circulation libre et sans entraves des biens et des services.

Les lendemains ont déchanté, et ce ne sont pas les statistiques de la Banque Mondiale laissant entendre que la pauvreté a reculé parce que les Africains ont désormais deux ou trois dollars par jour vivre au lieu d’un, qui permettront de faire avaler la couleuvre d’un monde amélioré par cette politique orchestrée via l’OMC, le FMI, l’UE et les différentes administrations des plus grandes nations capitalistes de la planète.

Sachant que les politiciens socio-démocrates qui ont promis, pour être élus, de se préoccuper de progrès social et de protection des travailleurs les plus fragiles, ont fait exactement l’inverse au point d’accompagner la destruction des droits sociaux tout en « libérant les énergies » des multinationales. Il est ainsi assez simple de comprendre le désarroi et la confusion qui s’opère dans les cerveaux des électeurs. Confusion qui mène à une certaine rage. Avec, comme il est normal en politique, l’apparition d’un fantasme. Puisque voter pour quelqu’un qui fera exactement la même chose que tous ceux qui ont été portés au pouvoir depuis 20 ans n’est plus acceptable pour tous ceux qui sont arrivés au constat d’échec des démocraties des Droits de l’Homme.

Ce fantasme est fascisant, logiquement fascisant, puisque le fascisme se nourrit toujours de vengeance, a besoin de victimes et de bourreaux, de traîtres et de trahis pour exister. Si de l’autre côté de l’échiquier politique, chez les « insoumis », le constat d’échec est le même, les propositions sont elles pourtant antinomiques. Mais visiblement quelque chose n’a pas pris, puisque les élections des 5 dernières années n’ont pas été concluantes de leur côté.

Il est sûrement plus simple de crier un slogan de quatre mots, amalgamer tous les phénomènes et pointer des boucs-émissaires, minoritaires et fragiles ou non, plutôt qu’autre chose. Ce que font les « On est chez nous ». Mais le grand problème reste : qui est en mesure de leur faire comprendre que si une part de leurs constats sont « justes » (la partie économique), les réponses qu’ils veulent apporter sont parfaitement nulles, non-avenues, dangereuses et accentueront encore plus le malaise actuel ? Certainement pas le téléviseur sur le buffet, avec ses boucles récursives mentales.

En conclusion, si l’on peut savoir « pourquoi les « On est chez nous » ? — savoir comment les transformer en « Bienvenue chez nous » est nettement moins évident. Peut-être parce que plus personne n’y croit ?

Ou n’a envie ?