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J’ai malheureusement eu un accident sur ma toute dernière livraison ; la première chose que m’a dit mon manager a été : « est-ce que les pizzas sont encore mangeables ? »

dimanche 26 février 2017 à 11:00

C’était l’été dernier. J’ai travaillé à X’ Pizza de la mi-juillet à début septembre, faute d’avoir pu trouver un autre job d’été et ayant fortement besoin de sous.

On m’avait fait miroiter une super ambiance de travail (je cite la chef à l’entretien d’embauche : « mais tu vas KIFFER venir bosser avec nous chaque jour Mathias ! »), un salaire respectable, une expérience valorisante humainement parlant, une considération et une sécurité s’il arrive quoi que ce soit (« la première chose qu’on va te dire s’il t’arrive un accident, c’est ‘est-ce que ça va’, on s’occupera bien de toi)…je vais vous raconter comment ça s’est réellement passé.

Le premier jour, évidemment, je découvre, je suis plutôt bien accueilli, et je passe la soirée à livrer les pizzas sans trop de mal avec les adresses des gens car je connais bien les quartiers situés dans la zone de livraison. J’avais peu d’expérience avec un scooter mais je me débrouille comme je peux, étant surtout attentif aux autres véhicules sur la route car à Marseille le danger vient souvent des autres sur la chaussée, et tu es d’autant plus vulnérable quand tu es en deux-roues.

Le deuxième jour se passe aussi bien que le premier. Au troisième, j’ai malheureusement eu un accident sur ma toute dernière livraison de la journée (je suis rentré dans une voiture arrêtée tous feux éteints sur la chaussée, heureusement j’avais pu freiner assez pour que le choc ne soit pas trop rude). Mon pied a tourné sur le coup et l’examen hospitalier révèlera par la suite que c’était une entorse, et j’ai été arrêté dix jours. J’ai donc appelé le restaurant pour dire ce qu’il m’était arrivé, la première chose que m’a dit mon manager a été : « est-ce que les pizzas sont encore mangeables ? » et ensuite : « est-ce qu’il est arrivé quelque chose au scooter ? » autant dire que – pardonnez-moi l’expression – je suis resté sur le cul ! Je suis rentré le pied en feu au restaurant, repris mes affaires, sauté à cloche-pied jusqu’à la sortie parce que, vous comprenez, les autres avaient bien trop de boulot pour s’occuper de moi, et évidemment c’est avec mon propre téléphone que j’ai dû appeler les pompiers (j’en profite pour préciser que durant tout le temps où j’ai bossé là-bas, j’ai toujours dû utiliser mon propre téléphone pour appeler les clients si j’étais perdu ou qu’ils ne répondaient pas à la sonnette, et on ne m’a jamais rien remboursé là-dessus mais passons).

Dix jours plus tard, je reprends le boulot. Je ne fais plus seulement les livraisons cette fois, j’aide aussi à préparer les pizzas selon le jour ou bien l’heure. Avec ma manager toujours à me mettre la pression pour aller plus vite, sauf que si je mets les ingrédients trop vite, ça rime avec trop mal pour moi. Il y a vite et vite…et donc des remontrances continuellement.
Puis au bout de quelques jours, deuxième accident. Pas grand-chose cette fois, juste le fait que le frein n’a marché qu’à moitié au démarrage et je suis rentré dans une voiture arrêtée, pas vite heureusement, mais assez pour casser légèrement le guidon. Je me suis fait pourrir devant tout le monde par le responsable de la chaîne sur Marseille, dans le restaurant d’abord, puis dans la rue devant tout le monde. Il m’a dit que c’était moi qui savais pas conduire et que les scooters étaient contrôlés régulièrement (il n’empêche, plusieurs collègues m’apprendront plus tard qu’ils ne prenaient jamais certains numéros de scooter, dont le mien, parce qu’ils savaient que les freins étaient foireux), il m’a fait appuyer sur chaque frein de chaque scooter garé devant le magasin pour bien me prouver qu’ils marchaient bien (comme si ça prouvait quoi que ce soit), et pour finir il m’a bien fait comprendre que si ça se reproduisait je paierais les réparations de ma poche et serais viré sur-le-champ.

Je me suis rendu compte dans les jours qui ont suivi qu’il y avait deux sortes d’employés : ceux qui faisaient le dos rond et se pliaient au maximum aux exigences des supérieurs sans rien dire parce qu’ils n’avaient que ça pour vivre, et ceux qui se la jouaient petits chefs quand les managers avaient le dos tourné et ne se privaient pas pour en faire voir de toutes les couleurs aux autres, dont moi bien évidemment. Par exemple, un soir on me forme à la prise de commande par téléphone avec l’ordinateur. J’aurais eu beau avoir fait MATH SUP, je pense pas que j’étais capable de tout retenir d’un seul coup, ni que quiconque l’aurait pu d’ailleurs tellement il y avait de choix de menus, de produits etc différents. Le jour suivant, ça n’a pas loupé, j’ai fait une fausse manip parce que c’était le rush et j’avais pas le temps pour demander si ce que je faisais était bon ou pas, j’ai annulé une commande, puis changé le destinataire d’une autre, fait perdre du temps à tout le monde, et je me suis fait pourrir par mon manager, mon chef et un employé qui se la jouait aussi.

Le pire je crois a été le jour où on m’a carrément demandé d’aller au carrefour devant le restau avec une grande pancarte de la promo du jour en gueulant littéralement pour attirer les clients. J’étais habillé comme un clown, et je devais faire le clown. J’ai rarement eu aussi honte de ma vie. J’ai été incapable de sortir un seul mot, je me contentais de me cacher de honte derrière ma pancarte, en bougeant selon que tel feu ou tel autre passait au rouge. Au bout de dix minutes ma chef a mis fin à mon supplice et s’en est suivie la conversation suivante :

« Mathias, viens pas ici.
– Oui ?
– Dis-moi, tu fais des manifs des fois toi non ? (elle avait clairement eu cette idée toute faite d’après mon look)
– Euh…oui ça m’arrive oui…
– Bon. Quand tu es dans une manif, tu restes pas statique derrière une pancarte on est d’accord ? Tu chantes, tu cries, tu es dynamique ?
– Oui, mais je ne vois pas le rapport avec…[elle coupe]
– Eh ben là c’est pareil, c’est ça que je te demande. »

J’ai inventé une excuse bidon mais crédible pour expliquer que ce jour-là j’étais incapable de faire une chose pareille, et j’ai eu la chance qu’on ne me redemande jamais de le faire jusqu’à ma démission (c’était un CDI avec période d’essai de 60 jours, comme ça ils sont tranquilles).

Et je vous parle pas de tous ces soirs où je devais finir à 21h30 et où j’ai dû rester jusqu’à plus de minuit parce que c’était soi-disant le rush et qu’ils n’avaient pas prévu assez d’employés pour assurer la deuxième partie de soirée, le fait que je n’ai jamais eu droit à une pause, le fait que j’ai clairement été traité comme une machine à faire des pizzas (l’humain on fait l’impasse dessus c’est plus pratique), le fait que les heures supp aient été payées au SMIC même après 22h…j’ai tenu jusqu’à la reprise de mes cours à la fac parce que j’avais vraiment besoin d’argent, mais il n’y a pas un seul jour où j’ai pris plaisir à aller au boulot. Il m’est arrivé plusieurs fois, en pleine livraison, de vouloir subitement foncer à pleine puissance dans un mur pour en finir avec ce boulot, un nombre incalculable de fois où je me suis laissé parler comme à un esclave, tétanisé par la peur et avec aucun brin de courage pour répondre quoi que ce soit…

Je vous passe en plus le fait que j’ai eu mon chèque plus d’un mois après ma démission, que le restaurant où j’étais était une société à part entière comme tous les restaurants de la firme (pour avoir moins de charges, comme s’ils se faisaient pas déjà un fric monstrueux dans le monde), que leurs cartons de pizzas contiennent des cancérigènes avérés, et pour finir que si vous aimez vraiment la pizza, les leurs sont dégueulasses (je le sais puisque j’en ai préparé assez pour savoir d’où viennent les ingrédients, comment est faite la pâte etc).

Vous trouverez sûrement des contre-exemples à mon expérience, mais de ce que j’en ai vu, peu d’employés y sont restés longtemps, les seuls qui l’ont fait c’est soit parce qu’ils aimaient vraiment ça mais à la base il y a un endoctrinement psychologique dont ils sont inconscients, soit parce qu’ils n’avaient rien trouvé d’autre pour vivre.

Vous laisse juger de ce qu’il y a à prendre et à laisser dans tout cela, je comprends que c’est un peu long mais j’ai voulu donner un maximum de détails pour bien faire comprendre la situation dans laquelle j’étais, et je vous garantis que tout ce qui est écrit est vrai. En tout cas si vous avez eu le courage de me lire jusqu’ici, je vous en remercie