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Graphisme / UX versus Sécurité : deux mondes opposés ?

mercredi 19 juillet 2017 à 11:50

Imaginez deux mondes en guerre. D’un côté, le monde de la sécurité bataille durement pour que les logiciels que nous utilisons tous et toutes soient sécurisés et qu’on puisse en être certain. Leur ennemi est l’illusion de sécurité. De l’autre, nous avons le monde des graphistes et des designers, qui eux, font en sorte qu’on puisse se servir de n’importe quel logiciel sans pour autant être bac + 42 option crypto terroriste.

Et depuis longtemps, pour ne pas dire une éternité, ces deux mondes se foutent sur la tronche, parfois assez brutalement. Est-ce que ces mondes sont réconciliables ?

Premier monde : la sécurité.

Dans le monde du logiciel, qu’il soit libre ou non, la sécurité est un élément fondamental. Ici, je ne vais parler que du monde du logiciel libre, que je connais un peu plus.

Le monde de la sécurité est composé – et c’est parfaitement normal – de personnes très très à cheval sur la sécurité des données, la protection des données personnelles et, de façon plus générale, de la protection de la vie privée et de l’intimité des utilisateurs.

Il faut des gens comme ça pour imaginer, développer et créer des applications qui soient utilisables et qui garantissent un niveau de sécurité acceptable, voire une sécurité réelle.

Trop souvent, dans trop de domaines, on nous vend une solution dite sécurisée alors qu’elle ne l’est pas et depuis que la sécurité des données est devenue un argument commercial important, vers 2012-2013 selon moi, c’est devenu un problème pour tout le monde.

Pour le sachant, c’est un problème dans la mesure où il n’aura que très peu de capacités de lutter contre un monstre de communication disposant d’énormes moyens humains, techniques et financiers pour dire « regardez mon produit, il est bien, il est sécurisé, utilisez-le, mangez-en ! »

Pour le non sachant, c’est tout autant problématique, même s’il n’en est pas forcément conscient. On lui dit que c’est sécurisé, il n’a pas les moyens de vérifier cette information, de lire du code, il est donc plus ou moins forcé de faire « confiance ». Il utilisera cette solution prétendument sécurisée alors qu’en fait elle ne l’est pas et mettra donc en péril sa sécurité, celle de ses interlocuteurs, ses données et celles des autres.

Comme dans n’importe quel monde, il y a des extrémistes et des modérés, ceux qui font des concessions et ceux qui n’en font pas et ne feront. Jamais. La. Moindre. Concession.

Les deux points de vue sont compréhensibles, justifiables et quand on voit toutes les saletés pondues par des boites privées, des gouvernements ou des marketeux pour toujours nous piquer un peu plus d’informations confidentielles, j’aurais tendance à aller dans le sens des extrémistes.

Mais…

Deuxième monde : celui du design

L’autre camp, l’ennemi, selon les extrémistes de la sécurité, c’est le monde du design, du graphisme.

Beaucoup de personnes négligent l’importance de ce monde, c’est pourtant grâce à lui qu’on adopte ou non une solution, un logiciel. Si Microsoft était moche* et pas utilisable, j’en suis certain, il ne serait pas autant utilisé, puisqu’il ne respecte en rien les utilisateurs.

Les missions de ce monde, c’est de penser « ergonomie » pour l’utilisateur, donc confort de ce dernier : « qu’est-ce que je vais devoir faire pour que l’interface du logiciel que je design soit utilisable aisément ? »

Pour répondre à ce délicat problème, ils ont besoin d’innover, ils doivent penser à l’ensemble des terminaux où la solution est déployée, ils doivent designer l’intégration de chaque fonction pour créer un tout harmonieux. Ils doivent penser « UX » : User Experience.

Je pourrais consacrer un billet de 15000 signes à l’UX tant le sujet me semble important, mais là n’est pas le débat.

On dira simplement que l’UX, c’est le truc à l’esprit de chaque graphiste qui doit bosser sur un logiciel, un site ou un application. C’est le truc qui fait que toi par exemple, utilisateur de Twitter sur mobile, tu vas faire glisser ton doigt de haut en bas (le swipe) pour actualiser fon fil, et pas appuyer sur un bouton actualiser, parce que le swipe c’est plus pratique, plus intuitif, plus naturel.

Le travail de ces gens-là est tout autant compliqué que celui des gens de la sécurité, les problématiques sont différentes, certes, mais la quantité d’efforts à produire est tout autant phénoménale et, à titre personnel, je suis autant admiratif de ce monde que du premier.

J’aurais tendance, cependant, à plaindre davantage les gens qui bossent dans le design, parce que pour être clair, ils s’en prennent plein la gueule. On résume leur activité, pourtant extrêmement compliquée, à « faire des dessins avec des crayons ». C’est plus que méprisant, au-delà du fait que cela soit réducteur. Bien évidemment, ce monde n’est pas le seul à s’en prendre plein la tête, seulement, j’aurais tendance à dire qu’ils ne sont que trop rarement pris au sérieux, là où le monde de la sécurité l’est (pris au sérieux), par exemple.

Dans ce monde-là, comme dans le premier et l’ensemble des autres, il y a des extrémistes pour qui le design prime sur absolument tout, et il y a les autres, plus modérés.

Voilà, le décor étant posé, on va pouvoir passer à la suite

LA GUERRE !

Le constat est le suivant : le monde de la sécurité tape sur celui du design, et inversement. Parce que celui de la sécurité déclare qu’une belle* application c’est une application qui n’est pas sécurisée et donc, qu’il faut dégager le design… et forcément, ça ne fait pas super plaisir au second monde, qui vient se défendre et taper sur le premier.

Et ça dure depuis des années. Et, pour une fois, je vais vous livrer mon ressenti « brut » sur ce conflit : bordel, c’est épuisant de voir des enfants se taper dessus et être incapables de se parler plus de deux minutes sans se foutre sur la tronche. C’est épuisant, d’autant plus que nous avons besoin des deux mondes pour faire évoluer le monde entier, celui dans lequel nous vivons avec les autres gens.

Les contacts, les amis, les copains, ne vous braquez pas, ce n’est pas le principe… mais purée, parfois, vous êtes fatigants. Il faudrait songer à grandir, à ouvrir votre esprit et à sortir du schéma « il n’y a que A, ou B, et rien d’autre. »

Entre-soi ? Pour les autres ?

Parce que la question est là : qu’est-ce qu’on veut faire ? Qu’est-ce qu’on veut faire de nos connaissances, de nos logiciels, de ce monde, de notre monde ?

Est-ce qu’on veut pouvoir offrir au plus grand nombre une solution sécurisée ou plus sécurisée que l’actuelle ou alors est-ce qu’on réserve ces solutions là à « ceux qui savent » ?

Si le monde de la sécurité et du design ont, à mon sens, besoin de travailler ensemble, c’est parce que les premiers ont le fond et pas toujours la forme et que les seconds, la forme mais pas toujours le fond.

Développer un machin où le monde de la sécurité ne cause pas, dès le départ, au monde du design, c’est parfaitement con. C’est dit. Ces deux mondes doivent être intégrés dès le départ d’un projet, dans les étapes de réflexions, de création, il doit y avoir des échanges entre les deux. Ainsi, on pourra, j’espère du moins, arriver à quelque chose de beau et de sécurisé.

Le beau, ce n’est pas juste beau pour faire plaisir. Je vais faire grincer des dents, mais si c’est beau, c’est juste parce que c’est nécessaire. Oui, c’est juste nécessaire, au premier abord du moins.

Quand tu as le choix entre deux boutiques, une jolie et l’autre absolument hideuse, tu vas aller dans laquelle en premier ? Généralement, la jolie, parce qu’elle te parle plus, parce qu’elle donne envie, parce qu’elle donne confiance.

Elle pourra te vendre n’importe quoi, c’est un fait, mais là n’est pas la question, je te parle de l’étape d’avant, de celle du choix.

Si de plus en plus de personnes utilisent l’application Signal, qui permet de chiffrer une partie de ses communications, ce n’est pas parce que Snowden a dit que c’était génial. Cet argument ne parle qu’à celles et ceux déjà sensibilisés au problème. Si l’application est de plus en plus utilisée, c’est parce que son design, son UX, est hyper accessible. Quelqu’un qui arrive dessus retrouve vite ses repères et le bac + 42 option crypto terroriste n’est juste pas nécessaire.

Ce n’est pas tout beau tout rose, c’est vrai, mais ce n’est pas en tapant ouvertement sur la gueule de l’équipe ou du design que ça fera avancer les choses.

En revanche, si le principe c’est que ces outils, cette connaissance soit exclusive aux sachants, qu’elle soit exclusive à ceux qui font l’effort de se manger des heures et des heures, des nuits entières à manger du code, à comprendre des choses, alors … c’est sans moi.

La connaissance, c’est fait pour être partagé, mais pour qu’elle soit comprise, il faut qu’elle soit adaptée… et non… un software qui dégueule du code et qui nécessite des nuits entières de configuration, ce n’est pas une solution.

Si votre interlocuteur ne comprend pas quelque chose, ce n’est pas qu’il n’en a pas la capacité, c’est que vous avez mal communiqué. C’est pareil pour le logiciel et son adoption. Vous pouvez venir en discuter dans les commentaires mais préparez vos arguments, je n’ai pas la prétention de tout connaitre, mais les rouages de la communication, un peu quand-même, c’est mon métier depuis plus de 10 ans déjà.

C’est démotivant. Même pour moi, alors que beaucoup considèrent que je suis actif et que je cherche à comprendre.

Bref, cher monde de la sécurité et cher monde du design, dans ce que je pense être l’intérêt commun, parlez-vous et faites-vous des bisous, j’ai besoin de vous deux, et je ne pense pas être le seul dans ce cas.

Précisions, pour les * :

ce que je définis comme moche est un énorme raccourci de ma part, et c’est la même chose pour beau. 

Quelque chose de « moche » pour moi, c’est pas quelque chose de laid, c’est quelque chose de mal pensé, peu ou pas adapté, pas ergonomique.

De la même façon, ce que je définis comme étant beau, ou une belle interface : c’est une interface bien pensée, réfléchie. Pas belle au sens « c’est une belle chose, une belle oeuvre d’art », par exemple. C’est, pour moi, l’ergonomie d’une application qui fait sa réussite, et non le fait qu’elle soit belle au sens du dictionnaire, ou laide. 

Une application peut être belle dans le sens « jolie » et être horrible, pas utilisable, mal pensée, mal conçue. A mes yeux, cette application est un cauchemar, et moche. La précision me semblait importante.

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