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Ma mère et moi nous nous interdisons les repas de midi au profit de mes sœurs, plus jeunes.

dimanche 26 février 2017 à 12:00

Salut #OnVautMieuxQueCa. J’ai un témoignage pour vous. Enfin, plusieurs en réalité, fractionnables, renvoyant chacuns à différentes réalités du monde du travail. Un travail dans lequel mon père s’est acharné au point d’en oublier sa dignité, et que ma mère a perdu il y a de cela 10ans avec l’arrivée de ma seconde petite sœur. Un travail que j’ai dû, en tant qu’enfant, connaître trop tôt. Tout ça, c’est pour mes parents. Je vous laisse tirer ce qui vous semblera à judicieux de tout ca, car j’ai peur de ne pas savoir être concise, tant le travail est devenu une valeur fondamentale au sein de ma famille.
Commençons par ma mère ; à 33ans, elle tombera enceinte de ma seconde petite sœur. J’avais 10 ans. Le déni de grossesse, probablement provoque par l’immense pression qui pesait sur elle en tant que femme a son travail, à fait que je nous n’avons su qu’à 6 mois de grossesse qu’elle cachait un bébé dans son ventre. Un bébé qui, soyons clairs, au vu de la précarité dans laquelle nous étions déjà, n’aurait pas du être là de sitôt. Chef d’atelier en bijouterie, seule femme, la plus jeune des ouvrières, elle qui a travaillé dans l’ombre des plus grands créateurs, assemblant avec ses petites mains les plus beaux bijoux portes par les plus belles femmes, alors qu’elle n’a même pas les moyens de s’en payer un tiers, sera licenciée pendant son congé maternité, car « cacher une grossesse est une faute, et avoir trois enfants lorsqu’on souhaite travailler en est une plus grande encore ». Ma mère adorait son métier, ce métier pour lequel elle a arrêté l’école à 16 ans au grand dam de ses professeurs, qui lui a troué les bras à l’acide, qui lui a fait vivre les pires frayeurs, entre les braquages et les kilos de pierres précieuses qu’elle devait ramener dans notre HLM pour finir son travail de la journée, sans aucune mesure de sécurité. Les pires humiliations aussi, quand son patron lui faisait du pied en réunion, alors qu’elle était enceinte. Quand le frère de celui ci, photographe « luttant pour l’écologie et les droits de l’homme » reconnu, l’avait menacée de licenciement car elle avait osé s’opposer à l’exportation de la production en Chine, là ou la main d’œuvre infantile est si bon marché. Cela fait maintenant 10 ans que ma mère est au chômage. 10 ans qu’elle devient tour à tour intérimaire, femme de ménage, et que les propositions d’embauche s’amenuisent car, à 43 ans, on ne vaut plus grand chose. Le dernier entretien en date s’est solde par « vous avez une expérience incroyable, vous avez parfaitement le profil, mais nous paierons beaucoup moins cher à embaucher un jeune au chômage que… vous. ». Car oui, c’est la le fond du problème; les aides à la réinsertion ne pas s’appliquant pas aux chômeurs de plus de 26 ans, ma mère ne trouvera probablement plus jamais de travail. Et c’est triste. Et ses trous dans les mains se couvrent régulièrement de larmes, quand cette maman qui aimait le travail pense à sa vie de mère au foyer qu’elle n’a pas choisi. Lorsque l’on dit que le chômage et la dépression vont de paire, je ne peux que le confirmer…
Mon père maintenant. Issu de l’immigration portugaise des années 70, il s’est toujours considéré français, reconnaissant envers ce pays qui l’a accueilli au point de demander sa nationalité à 18 ans dans le seul but de faire son service militaire, par pur esprit patriotique. Mon père, je l’ai toujours connu travaillant. Ce qui ne m’étonne guère, je reviendrais sur ce point. D’une fidélité à toutes épreuves, il n’a connu sue deux entreprises. La première, il y est resté 15 ans. 15 ans à faire 4h de trajets par jours. 15 ans à ne presque pas nous voir. 15 ans à parfois dormir dans son fauteuil au bureau car il avait tellement de travail qu’il ne pouvait pas se permettre de rentrer. 15 ans à être payé 1500e net. Je sais que le statut de cadre est considéré socialement comme un statut somme toute moins précaire que d’autres, néanmoins mon père, comme beaucoup d’entre eux, n’a jamais été payé à la mesure du travail qu’il fournissait. Après notre déménagement de la région parisienne à la région lyonnaise, mon père quitte cette entreprise pour une autre, ou il passera 7 ans. Considéré comme le numéro 2 de cette entreprise, il ne gagnera pourtant pas plus, ne travaillera pas moins. Plusieurs fois, il ne recevra pas sa paye, pendant 1/2/3 mois. Et ma mère, que le chômage a rendu apeurée, n’ose pas lui dire la vérité; nous sommes très, très pauvres. C’est une période comme beaucoup en connaissent hélas. Ma mère et moi nous nous interdisons les repas de midi au profit de mes sœurs, plus jeunes. A 16 ans, je suis confrontée à une triste réalité; je rentre de mes baby sitting, que j’enchaîne en délaissant le lycée, avec mes 20/30 maigres euros qui permettront de tenir 1 ou 2 jours de plus. Sans que jamais mon père ne sache. Sans que jamais je n’espère un jour me les voir rembourser. Puis l’échéance arrive, et on y est ; mon père sort du boulot, va à la boulangerie pour un sandwich, tente de
Payer avec sa carte, et le couperet tombe. Nous sommes Banque de France. Interdit, il est dans l’incompréhension. Et moi si bête que j’ai été de laisser ma mère se sentir seule, se sentir amoindrie, à tout porter sur ses épaules. Et il pardonne mon père. Il pardonne à ma mère, à son boss qui n’a jamais été correct, allant jusqu’à lui faire payer avec sa propre carte ses frais de voyage. Il pardonne et continue le travail. Et puis arrive cet été. Quand la paye n’arrive pas, que la banque continue à tourner, que les frais s’accumulent, le loyer n’ est plus une priorité. Mes parents et mes sœurs sont expulsés. Moi, cela fait 2 ans que je vis comme je peux avec mon copain, mon boulot, mes études. Nous finissons à 6 dans mon 50m2. Cela dure 4 mois. 4 mois de galère à trouver un appart, à ne pas céder aux assistantes sociales qui proposent de prendre en charge mes sœurs sans jamais dire que si elles ne sont plus avec mes parents, ils ne pourront prétendre qu’à trouver un t2 et auront un mal de chien à les récupérer. 4 mois ou ma mère prend conscience qu’il existe des gens bons et attentifs, ces travailleurs sociaux qui côtoient la misère quotidienne et y trouvent des solutions autant que faire se peut. Et enfin, un appartement. Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, mon père, si fidèle, fait face au dépôt de bilan « surprise » de son entreprise, dont le patron est aujourd’hui poursuivi pour fraude. Un patron qui avait la confiance de ses 12 employés et qui les a honteusement trompés. Mon père retrouvera un travail une semaine plus tard, grâce à son abnégation et la réputation qu’il s’est faite dans son milieu. Mes parents finissent aujourd’hui de rembourser leurs dettes, la situation tend à s’améliorer, mais si nous avons bien appris une chose, c’est qu’il nous est impossible à nous, classe « moyenne », d’etre sûrs de nos arrières, et il nous est interdit, surtout, d’être trop gentils, et ce surtout dans le milieu du travail.
Et moi, ancienne étudiante, avec tous ces remous, j’ai pris la décision de mettre fin à mes études. Pourtant, j’étais plutôt bonne, mais la vie d’étudiante salariée et les 70h par semaines qu’elle engendrait m’ont pousse à la déprime, aux burn out trimestriels à chaque période de partiels. Et puis ce constat; mon père, son doctorat ne l’aura pas mis à l’abri. Alors j’ai abandonné, pour le travail et l’illusion d’une vie plus stable et plus agréable. J’ai trouvé ma place dans la restauration, un métier qui me passionne mais qui peut être le pire comme le meilleur. Je suis évidemment comme beaucoup passée par ces entreprises qui n’ont que faire du bien être de leur salariés, j’ai été sous payée, j’ai fait des heures supplémentaires à n’en plus finir, parfois jusqu’à me retrouver à travailler 7/7 pendant tout un mois, jusqu’à 15h par jour. Tout ça pour un Smic. J’ai vécu la stigmatisation aussi, qui dans mon cas est positive, puisque je m’appelle Goncalves et que « les portugais sont des bosseurs et font bien le menage ». Parce que je suis une femme, et que « les femmes sont consciencieuses » voire corvéables à merci. Parce que je suis pas trop moche, au point d’être présentée par certains de mes employeur à leurs amis comme un « atout charme ». Je ne me plaindrait jamais d’avoir la certitude de toujours trouver du travail, lorsque d’autres galèrerons toute une vie. Ce dont je me plains, ce sont ces à priori insensés qui me placent dans une position avantageuse dont on attendra toujours que je sois reconnaissante, tandis que mes amis renois, reubeus, avec qui je partage l’histoire commune de l’immigration de nos grands parents, se trouvent eux dans une stigmatisation de bien plus malsaine dont je ne peux qu’avoir pleinement conscience. L’importance du nom et de la couleur de peau,ou du genre au travail est indéniable, et qu’elle soit positive ou négative, cette stigmatisation constante n’a pas lieu d’être.
Aujourd’hui, la vie tend à s’améliorer. J’ai trouvé un travail dans une entreprise familiale avec des employeurs formidables, du genre de ceux qui ont compris la symbolique même de l’entreprenariat. Du genre de ceux qui vous prennent tels que vous êtes, avec vos potentiels, en essayant de vous tirer vers le haut sans jamais changer votre personne. Du genre qui vous interdit de vous inquiéter du travail pendant vos week-end, car ils ont compris que votre productivité dépend de votre bien être. Du genre qui a compris que quand on fait 42h par semaine, un Smic ne suffit pas. Du genre à ne pas te faire de réflexion quand tu débarqués pas maquillée alors que tu es la seule fille du staff et qu’une semaine grande partie. Du genre à adhérer à l’idée de méritocratie, tout simplement. Je suis convaincue qu’il sera prêt à banquer pour bien nous rémunérer autant qu’il le peut, et en cela je me sens plus en sécurité que d’autres vis à vis de cette merde de loi travail. Pour autant, je ne peux rester inactive face aux injustices de plus en plus criantes et je m’ opposerais aussi longtemps qu’il le faudra à cette pseudo démocratie qui fait de nous des êtres amoureux de leur servitude, comme le disait si justement Huxley. Je crois en vous comme je crois encore en ces milliers de personnes. Pour mes parents, pour mes amis, pour les enfants qui prendront notre relais. Pour toutes ces années de galère qui m’ont appris que le travail doit avant tout redevenir une valeur commune, et pas la bête noire d’un nombre incalculable de personne, ou le cheval de guerre d’une poignée d’oligarques. Merci à vous d’exister et de redonner un tant soit peu d’espoir à notre génération, et une oreille attentive à celle de nos parents. Merci d’avoir lu.