Je m’appelle C*, j’ai 27 ans et je suis sortie major de ma promotion en 2012. Formée à la gestion de projet multimédia (master 2), j’avais un profil très polyvalent et je me destinais davantage à des métiers plus créatifs mais avec des débouchées impliquant des responsabilités managériales. Avec un an de stage dans les pattes, je n’ai finalement pas trouvé d’emploi, durant un mois, puis deux, puis trois, puis un an, puis deux ans et une grave dépression à la clef, me remettant en question chaque fois que je le pouvais et accumulant les versions de CV jusqu’à la nausée. J’ai eu la chance de trouver un emploi alimentaire pour survivre il y a 1 an (11 mois après le dépôt de CV) et je suis aujourd’hui vendeuse dans une grande enseigne. C’est mieux que rien, même si j’aimerais parfois occuper mon cerveau à autre chose.Bref, tout ça pour en arriver à ce témoignage parmi tant d’autres, figé dans un moment précis de mon existence et de ma frustration. J’espère que vous apprécierez ce texte (en pièce-jointe) autant qu’il a pu me soulager à l’époque.
CONTE
Il était une fois, dans un lointain royaume fait de grès et de poussière, une douce âme naïve qui
désespérait d’apporter de l’eau à son moulin. Tous, de l’habitant du village aux nobles malandrins, ne
tarissaient pas d’éloges sur son habileté et chantaient à qui voulait bien l’entendre qu’elle fut promise
à une radieuse destinée.
Mais par la grâce divine de quelques esprits avinés, elle demeurait quelques temps plus tard sans
profession aucune ; en auriez-vous seulement douté ? Chaque demande, qui bientôt devinrent
tristes supplications, se soldaient irrémédiablement par une refus net et franc, un coup de pied au
postérieur sans sommation.
L’on dit que le serpent est sourd, la belle disait que l’homme est infirme, dénué de cœur et de
jugeote. Elle contait à qui avait le courage pour l’entendre ses tristes pérégrinations, et s’indignait
que l’employeur puisse avoir choisi délibérément le paradoxe plutôt que la raison. Si il cherchait
l’expérience, il souhaitait avant tout la jeunesse. Et quand il désirait les compétences, c’est l’avidité
qui retenait sa largesse.
Ô bien sûr il ne fallait guère en vouloir qu’à lui, car après tout pour les plus modestes d’entre eux,
c’est le royaume qui pesait sur leurs humbles négoces. Quant à ceux qui pouvaient s’acquitter du
tribut qu’ils devaient au suzerain, c’est par vénalité qu’ils exploitaient le sot jusqu’à ce qu’il n’en
reste rien. Après tout, le pays regorgeait d’âmes en peine qui acceptaient le poids de la servitude
contre quelques deniers, et qui pour un semblant de reconnaissance refoulaient ce qui un fut un jour
leur dignité.
Rendue amère par ses mésaventures, la belle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux faire tourner son
moulin à la force de ses bras. Après tout quoi de plus noble et de plus glorifiant que de construire
son propre échafaud, ne croyez-vous pas ? Mais là encore dans ce royaume qui se marchait sur la
tête, elle se heurta à quelques difficultés. Car croyez-le ou non, le suzerain avait édicté quelques
commandements pour épauler le prolétaire, enfin soi-disant.
C’est ainsi qu’elle découvrit qu’avant même de pouvoir travailler, c’est envers son roi qu’elle était
redevable. La douce et naïve jeune fille en fut contrariée et l’issue de cette initiative bien regrettable.
Quand bien même elle aurait souhaité explorer d’autres horizons, on ne donnait plus sa chance sans
l’aval d’un quelconque diplôme. De la poudre aux yeux pour nos très aimables grisons et une façon
efficace de scléroser le royaume.
Alors la belle se rendit près de l’océan, noyer son chagrin dans l’écume bouillonnante. Elle
contemplait distraitement l’horizon, espérant que les vastes terres au loin fussent plus accueillantes.
Moralité : Ce n’est – dans cette vie présente – ni votre habileté, ni votre motivation qui seront
considérées mais bien l’intitulé sur un morceau de parchemin et une case dans laquelle il vous
faudra impérativement rentrer. Ne désespérez pas, un jour viendra où le royaume aura peut-être
besoin de vous. En attendant contemplez le vaste horizon, car au loin vous savez, plus vert est le
gazon.