Digressions sur les matériaux composites
lundi 27 janvier 2025 à 05:03
En voyant ça j’ai fini par écrire un pavé que je préfère poster ici :
En gros ce qu’il fait c’est créer un matériau composite.
Un matériau composite est composé de deux constituants qui ont des propriétés complémentaires. Par exemple, le béton est assez dur mais cassant, et l’acier est résistant mais souple. En armant le béton de tiges d’acier, on obtient un composite qui sera résistant et dur. Le béton est appelé la matrice, et l’acier, le renfort.
Il faut distinguer plusieurs choses :
- un fil d’acier permet de tirer des choses (comme sur une grue), mais pas de pousser des choses. L’acier (sous la forme d’un fil) a une bonne résistance en traction, mais pas en compression. Essayez de pousser quelque chose avec un fil de fer, c’est impossible. Tirer, par contre, aucun problème.
- le béton permet de pousser, car c’est rigide et incompressible, mais pas de tirer. C’est comme deux des pièces de légo : un empilement de briques résistera à la compression de plusieurs kilogrammes posées dessus, mais on ne peut pas tirer plusieurs kilos avec : les briques finiraient par se défaire. Une barre de béton posée sur deux pillons aux extrémités ne résistera pas non plus à de lourdes charges posées au milieu. On dit que sa résistance à la flexion est faible.
Mettre un fil d’acier dans une barre de béton permet de plus ou moins tout faire et de résister à tout.
Toujours avec l’exemple des légos, c’est comme si vous entouriez un empilement de cubes de légo avec du scotch : désormais vous pouvez vous servir de cette barre de légos pour pousser (les briques rigides le permettent), et pour tirer : le scotch empêchera les briques de se défaire.
En fait, il n’y a même pas besoin que le matériau soit dur pour être résistant. Faites un pâté de sable, même humide, puis marchez dessus : ça s’effondre.
Maintenant mettez 2mm de sable, puis une feuille d’essuie-tout, de tissu ou de grillage métallique fin puis 2 mm de sable, une nouvelle feuille, et ainsi de suite. L’ensemble ne sera pas dur et restera friable et facile à démonter, mais résistera au poids d’une voiture. Et oui, du sable ou de la terre renforcées sont utilisés dans la construction, car c’est bien moins cher et polluant que le béton.
Les « composites » tels qu’on en parle dans l’aéronautique, les voitures ou les vélos de course haut de gamme font la même chose, mais avec d’autres matériaux.
Typiquement, des fibres de carbone (le renfort) qui sont résistantes en traction et en flexion une fois tendues, sont piégées dans du plastique durci (la matrice). On leur donne la forme par moulage lorsque le plastique est mou, et on les fige dans cette forme par une cuisson pour durcir la matrice.
Ce qu’il fait là dans la vidéo du lien c’est la même chose : du fil, du coton, de la sciure de bois, en tout cas des fibres, dans de l’eau. Il moule l’ensemble puis durcit tout ça en gelant l’eau, formant de la glace (solide) : c’est beaucoup plus résistant que la glace seule ou le renfort seul.
Dans les matériaux composites aéronautique, on utilise typiquement de la fibre de carbone, de kevlar ou de verre (et même d’autres matériaux plus ou moins exotiques dont je ne parlerai pas) selon l’application souhaitée : légèreté, coût, conductivité, transparence aux ondes, résistance au feu, aux chocs… Parfois on utilise des tissus hybrides qui mêlent plusieurs types de fibres (verre et carbone par exemple).
Ces fibres sont généralement tressées, ce qui donne cet aspect « carbone » bien connu. Le motif de tressage peut varier d’angle, de densité de fibres ou même proportions de fibres dans un sens par rapport aux fibres dans l’autre sens, un peu comme il existe différents types de mailles en tricot (point de Jersey, point de riz, point de côtes, etc.).
Parfois même elles sont non tressées : c’est le cas par exemple quand les contraintes que la pièce subira seront toujours unidirectionnelles. Dans ce cas, on n’a pas besoin de fibres dans le sens qui ne subiront aucune contrainte.
Le fuselage du Boeing 787, entièrement en composite, par exemple, est essentiellement une bobine de fils de carbone gelée dans du plastique : ici les contraintes seront essentiellement vers l’extérieur du cylindre formé par le fuselage. La force est donc radiale et pas longitudinale. Des fibres qui suivent le fuselage seront essentiellement inutiles, et il y en a donc pas (ou beaucoup moins). Les réservoirs en composite pour l’hydrogène ou le GPL sont faites pareil.
Une telle structure supportera très bien une pression intérieure, chose qu’un avion subit quand il est en altitude. Par contre il ne fonctionnerait pas bien sous l’eau, si la pression vient de l’extérieur et exerce donc une compression sur le fuselage. Les fils seront compressés, et donc détendues (et constitueront une masse morte). La résistance ne reposera plus que sur la matrice plastique et on perd donc 50 % des propriétés. Pire, sous ces conditions, la présence des fibres fragilise la matrice, qui serait plus solide si les fibres n’étaient pas là.
Rappelez-vous : les fils sont bons en traction mais pas en compression. Ainsi, faites un sous-marin en fibre de carbone, et vous aurez le désastre du sous-marin d’OceansGate qui a implosé.
Raison pour laquelle on ne fait pas de sous-marin (ou en tout cas on ne devrait pas) en carbone composite, mais plutôt en métal. Au passage, les polymères composites sont chers, mais plus léger. Raison de son emploi dans l’aéro. Sous l’eau par contre, le poids n’est pas un problème : utiliser des polymères composites pour un sous-marin est donc inutilement plus léger, plus cher et moins résistant. Le fait que ce soit à la mode ou « à la pointe » ne doit pas prévaloir sur le fait que ça ne soit pas techniquement approprié.
La matrice d’un matériau composite, quant à elle, est une résine plastique, qui, en la chauffant va polymériser : les petites molécules (les monomères) sont s’enchaîner les une aux autres et former une longue chaîne moléculaire (un polymère).
C’est la raison pour laquelle on parle de polymères renforcés en fibres de carbone (ou CFRP en anglais, ou bien GFRP si l’on utilise du verre).
Enfin, on peut faire son polymère composite ultra-résistant à la maison, avec de la superglue. La superglue est du cyanoacrylate de méthyle liquide, non polymérisée. En durcissant, il polymérise, formant donc du polycyanoacrylate de méthyle. Dur, mais toujours cassant comme du verre.
Si vous avez à coller deux choses ensemble, entourez-le d’un bandage fibré (comme du tissu de coton) puis imbibez tout ça de la superglue liquide et laissez durcir toute une nuit. Vous pouvez aussi tremper un petit nuage de ouate de coton dans la superglue, puis colmater une fissure ou un trou avec ça. Le résultat sera dur comme de la pierre et peut même s’usiner, s’abraser, se tailler. Par contre, selon la quantité de colle qui imbibe la fibre, ça pourra être porreux (donc non-étanche). Vous pouvez utilise de la résine époxy si vous voulez quelque chose d’étanche (l’aéro utilise parfois également de l’époxy).
Le durcissement est accéléré en présence d’ions métalliques : ajoutez une (toute petite) pincée de bicarbonate de sodium en poudre.
Il est préférable de ne pas chauffer (bien que la polymérisation en serait accélérée) : l’époxy et dans une moindre mesure le cyanoacrylate de méthyle, chauffent lors de la polymérisation (le phénomène est exothermique) et l’on ne veut pas un emballement thermique : la chauffe peut être suffisante pour brûler l’ensemble, et en tout cas pour engendrer des tensions dans la structure, si elle est assez grande.
Bref, ça vous fera votre composite ultrarésistant maison.